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Notre cerveau nous pousse-t-il à détruire la planète ?


Nous savons pertinemment que notre mode de vie met la planète en péril… mais nous avons du mal à en changer. Sébastien Bohler*, docteur en neurosciences, nous explique pourquoi.

Face à l’urgence climatique, pourquoi restons-nous aussi passifs ?

On a conscience des problèmes qui se profilent, on entend parler d’effondrement, d’exploitation des ressources, de réchauffement climatique… mais au moment de changer de comportement, rien ne bouge. On a l’impression que les consciences évoluent alors que les tendances de la consommation et de la production sont à la hausse !

D’où vient la contradiction ?

En fait, le cerveau humain est composé de deux grandes parties : le cortex cérébral, la partie plissée, apparue relativement récemment dans l’évolution, qui produit l’intelligence, le langage, la capacité de réflexion… et n’a jamais cessé d’augmenter ; et le striatum, un noyau cérébral (un amas de neurones) très ancien, apparu il y a environ cinq cents millions d’années, et qui est arrivé jusqu’à nous. Depuis l’aube des temps, cette partie nous récompense avec de la dopamine lorsqu’on répond aux grands désirs fondamentaux (appelés les renforçateurs primaires) comme manger, boire, dormir, se reproduire, être en sécurité, acquérir du pouvoir… Le striatum, cette région très profonde du cerveau, a été notre passeport pour la survie : il a toujours incité les mammifères à partir en quête de nourriture et à manger sans limite. A l’âge de pierre, si vous trouviez une proie, vous n’aviez pas intérêt à en laisser une miette. Le striatum n’a pas été conçu pour se limiter. Avec les inventions dues au cortex (agriculture, pesticides…), ce système de récompense illimité mène à l’épidémie d’obésité. En créant l’outil, on a eu accès à plus de ressources de subsistance. Avec le système industriel, cela pousse à l’overdose. Par exemple, une partie du cerveau est tournée vers la transmission des gènes et il y a une prime en terme de plaisir liée à la sexualité. Ainsi, le trafic internet annuel du porno a de grosses répercussions en terme de gaz à effet de serre…

Pourquoi le striatum ne se régule-t-il pas tout seul ?

Il vise à assurer la meilleure transmission possible du patrimoine génétique. Par exemple, un individu qui accède à plus de pouvoir a plus d’opportunités de rencontres sexuelles. Avec un striatum très développé, il aura une meilleure capacité de se reproduire. Pour cela, il cherchera à se nourrir sans limite, augmentera son pouvoir, le nombre de partenaires sexuel·le·s… Or, il faut bien se rappeler que dans l’évolution des êtres vivants, tout ce qui donne un avantage est conservé, inscrit dans les gènes et cumulé. Ainsi, le cortex n’a cessé de grossir sans que son impact soit anticipable.

Ne pourrait-on pas envisager une ablation de cette partie du cerveau ?

Cela arrive parfois lors d’intoxication ou suite à un AVC. Les personnes atteintes n’ont plus de désir, ne s’alimentent pas, deviennent totalement apathiques et dépendantes. On ne peut pas vivre sans dopamine. C’est le carburant, c’est la vie.

Le plaisir ne peut-il pas tenir compte des risques ?

La seule solution serait d’obtenir du plaisir avec d’autres sources que les désirs primaires. On s’est rendu compte, par exemple, que les comportements altruistes activaient le striatum, et c’est vrai davantage chez les femmes que chez les hommes. Cela montre que l’éducation peut jouer sur le système de récompense. Par exemple, dès leur plus jeune âge, les petites filles sont encouragées à s’occuper des autres, on les félicite et ça leur donne un statut social, l’une des grandes motivations sources de dopamine et de plaisir.

Le striatum ne pourrait-il pas être reconditionné ?

Il n’est pas figé. De plus, on peut le tromper, par exemple lui faire libérer de la dopamine en mangeant moins, mais en savourant. La décroissance matérielle peut aller de pair avec une croissance hédoniste, une croissance de la qualité perçue. Par exemple, les IRM montrent que le cerveau d’un enfant qui visite un musée ou lit un livre éprouve davantage de plaisir qu’en consommant. On pourrait se sentir plus heureux en développant la bonne conscience de ce que l’on vit, en valorisant ce qu’on a, en modifiant notre sensibilité. Mais si être soucieux de l’environnement signifie perdre son statut social, cela ne marchera pas. Il faudrait un changement de point de vue sur le référentiel de valeur, que collectivement on valorise le lien humain, l’attention, le temps long, la connaissance. On en est très loin. Tout le monde doit s’y mettre et cela demande de la discipline.

Lire le livre Le Bug humain, pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher ?, de Sébastien Bohler

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Article publié dans le magazine NEON en août-septembre 2019