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Le souffle du passé -1- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                        1

 La fenêtre est entr'ouverte, et le rideau blanc se gonfle de la brise matinale, voulant sans doute regagner le large. Un rai de lumière, échappé des persiennes, danse sur la joue de Julien, encore endormi. Pendant qu'à deux pas de là...la mer chuchote son inlassable refrain sur l'estran humide.

 Tout doucement, la chambre aux murs grossièrement chaulés commence à retrouver son éclat. On devine une commode boitillante, rehaussée par des taquets saillants, une vieille penderie qui a du mal à cacher son âge, et un christ, bras en croix au-dessus du lit, pour confirmer le dénuement de la pièce. Au sol, des lattes de bois disjointes, signalent par moment leur présence, par des craquements discrets, tandis qu'un plafonnier, retenu par trois chaînes métalliques, se balance comme un encensoir...au gré des rentrées marines.

 Au loin, une église, à peine sortie de la brume, lance ses cloches sonner les sept coups du matin. Un canard sauvage, sûrement en retard à son rendez-vous, peste en passant près de la fenêtre.


 Julien sursaute. Il cherche désespérément le réveil de sa main, qui obstinément se dérobe à lui. Ne le trouvant pas, il essaie rapidement de se défaire des draps tirebouchonnés autour de ses jambes pour se redresser sur le lit. Il se débat, puis se ravise....en souriant...conscient d'avoir cédé à des réflexes inconditionnels qu'il s'était promis d'abandonner à Paris.

 Il est vrai qu'à cette heure-ci, habituellement, il court après sa rame de métro, direction La Défense, fonce dès l'ouverture des portes, s'agrippe à la barre métallique comme un naufragé, pour ne pas être emporté par la houle humaine, et attend en apnée, entre le jeune cadre, la serviette serrée sous le bras, la cravate chahutée dans la bousculade, la secrétaire au tailleur coloré, le chemisier légèrement échancré, le commis de cuisine mal réveillé, quelques lycéens excités et un groupe de chinois, curieux de découvrir le célèbre quartier d'affaires. Et puis confiné, il doit subir l'interminable périple, faisant alterner sombres tunnels et lumière crue des stations. Dans une odeur de graisse recuite. Pour finir, le plus souvent, par l'escalade des quinze étages, évitant les ascenseurs bondés et une course dans les longs dédales, pour pouvoir enfin s'affaler dans son fauteuil. Ouf ! Mais non ! J'avais oublié la sonnerie du téléphone, insistante, qui vient immanquablement me rappeler, ironiquement, que la journée de travail....commence à peine.

 Tous les matins, quelquefois même le dimanche, Julien céde à ce rituel. Il est sûrement le seul grand patron à se l'imposer.

 Maintenant, par contre, Julien va pouvoir déguster ce moment apaisé : quand le temps a le temps, quand il n'a plus de prise sur lui, quand personne ne l'attend et qu'il n'attend personne. Quand la seule rencontre prévue est avec Dame Nature, cette belle demoiselle toujours fière et apprêtée, sans rancune pour ceux qui l'ont offensée.

  C'est pour vivre ce moment-là, qu'il avait remarqué, lors d'une escapade, cette vieille baraque grise, posée sur un îlot. Au premier regard, elle lui avait paru flotter sur l'eau, égarée entre mer et étangs. Poussée par les vents, ayant perdu sa route, elle semblait se cramponner au talus, en faisant craquer ses planches de bois,perclues de rhumatismes. Elle était là. Plantée. A attendre.  Attendre. Attendre que la mer lui ramène ses enfants, ceux qui avaient sombré au large, une nuit de tempête.

Attendre les retours triomphants des pêcheurs épuisés, leurs bateaux regorgeant de poissons, quand ils chantaient jusqu'au petit matin en faisant vibrer sa carcasse. Attendre encore et encore, parfumée par la brise, qu'un marin de passage vienne la voler à la mer. Julien pensait plutôt qu'elle guettait l'aventurier, celui qui lui conterait de belles histoires pour qu'elle puisse enfin refermer ses volets et doucement s'endormir. C'est un rôle qui ne lui déplairait pas, peut-être, pensa-t-il !

 Une volée de bécasseaux bruyants, virevoltant au-dessus du toit voûté, eut raison de son hésitation : quand, pattes tendues vers l'avant, ailes déployées vers l'arrière, ils vinrent le frôler pour se perdre dans le bouquet d'arbrisseaux, juste derrière lui. Ils sont venus me saluer, ...peut-être même me souhaiter la bienvenue , pensa-t-il.

 Puis Julien était reparti, à regret, son sac sur le dos, se promettant de revenir, un jour, écouter les concerts des après-midi d'une faune, n'en déplaise à Debussy....sans canards, bien sûr, pensa-t-il malicieux.

À SUIVRE....

JACKY ARLETTAZ