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Le souffle du passé -12- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                             12


 Julie parlait avec beaucoup d'assurance, éclipsant par une présence affirmée, ses deux camarades.

 Il fallut que Laurent revienne à la charge pour que Julien, à regret, regagne sa place avec les adultes. 

 -Comment vous vous êtes rencontrés ? demanda Laurent, en faisant un signe de tête vers Raymond.

 C'est d'ailleurs lui qui prit la parole:« C'est tout simple: je venais de charger sur le 4x4 les nasses à anguilles quand je suis tombé nez à nez avec un cycliste, apparemment perdu. Il cherchait la route de Narbonne Plage. Julien opinait de la tête. Puis il me demanda s'il n'y avait pas quelque chose à louer dans ce coin magnifique; quelque chose au calme, Et en rigolant je lui ai montré ma vieille baraque, au bois vermoulu, au dos cabossé. Il me prit au mot et voulut à tout prix la réserver. Je croyais qu'il plaisantait. On a échangé nos numéros de téléphone et voilà ….c'est tout!

 -Vous travaillez à Paris? Dans quelle branche? interrogea Georges 

 -Dans une société de financement pour de grandes réalisations immobilières, 

 Julien restait prudent et économe des informations qu'il donnait. 

 Les bouteilles de muscat défilaient sur la table et il commençait à ressentir la fatigue. Les quatre complices exerçaient leur curiosité à tour de rôle, Julien esquivant toute question personnelle.

 Il était tard. Laissant sur leur faim les « quatre mousquetaires», il s'excusa de ne pouvoir rester plus longtemps, prit congé en les remerciant chaleureusement, et en précisant qu'il avait rarement eu un accueil aussi sympathique, aussi naturel.

 Avant de partir, Raymond demanda « Au fait, monsieur Julien, vous partez quand?»  Il répondit, en hésitant... « Heu, dimanche !» Les quatre hommes se regardèrent brusquement, et Julien perçut quelque chose d'étrange dans leurs regards. Il continua, gêné, :«Cela vous dérange?...Ce sera sûrement dimanche en début d'après midi.». Raymond en bafouillant, sembla tenter une justification: «Non, non,.. cela ne nous dérange pas. On est plutôt habitués à ce que les touristes partent le samedi». 


 Julien longea le chenal d'un pas tranquille. Il respirait à pleins poumons une forte odeur de roui qui montait des étangs. Il  remarqua que la lune s'écrasait en un gros point lumineux qui s'effilochait en branches grisâtres qui gondolaient à la surface de l'eau fripée. De temps en temps, un léger clapot signalait que les gros poissons étaient en chasse derrière les petits gardons d'étain, ou qu'un canard plongeait bec en avant à la recherche d'une nourriture. Dans un silence enivrant, il s'amusait de cette « Petite musique de nuit» jouée discrètement par les animaux, emmitouflés dans le grand manteau noir. Plus feutrée que celle imaginée par Mozart. Le ciel tout étoilé participait aussi à la fête: une gerbe de lucioles éblouies cherchaient l'étoile du berger pour ne pas s'égarer, pendant que la mer, tout près, composait sa ritournelle.

 Il vira sur sa gauche, empruntant le sentier engoncé, lorsqu'il fut rejoint par Julie, perchée sur son vélo, son chien à ses côtés.

 «Tu ne restes pas à la fête ? » lui lance Julien, en se retournant. 

 Julie descend de vélo et le pousse à la main:« Non, c'est la bonne heure pour s'éclipser. Les quatre copains, adorables, vont picoler et commencer à devenir insupportables avec leurs vannes foireuses. 

 -Tu habites où?

 -Dans le cœur du village avec ma mère. D'ailleurs elle devait être là ce soir, mais elle était à la mairie, pour assister à une réunion sur l'aménagement du territoire.

 Julien sortit son portable pour éclairer le chemin. Il se tourna vers Julie et découvrit un visage finement ciselé qui se découpait dans la nuit et, derrière une mèche de cheveux, un petit nez en trompette qui se relevait fièrement. Quelques taches de rousseur, discrètes, se perdaient sur ses pommettes, 

 «Tu as l'air d'apprécier la musique; tu en fais?» demande Julien

 - Oui, je suis en troisième cycle au conservatoire. J'en joue à la maison. Il m'arrive de faire des quatre mains avec ma mère.

 - Alors, tu fais partie, toi aussi, de ceux qui ont contribué à la disparition des éléphants. On les chassait pour récupérer l'ivoire que l'on retrouve sur les touches de piano, lance Julien en souriant.

 - Non!!! Je suis écolo jusqu'au bout des ongles ! C'est vrai ce que vous dites?

 - Oui, mais rassure toi. Je suis aussi dans ton cas. J'ai besoin d'autres vibrations, le soir après le boulot. Des vibrations qui vont amadouer les mauvaises ondes de la journée.

 D'ailleurs, pour te consoler, sais-tu, qu'après avoir été exploités, les éléphants viennent écouter du Bach?


À SUIVRE...


JACKY ARLETTAZ