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Le souffle du passé -13- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                       13


 «C'est un pianiste qui fait danser les éléphants blessés sur des musiques de Chopin et de Bach, poursuivit Julien. C'est en Thaïlande que Barton,- c'est son nom- est devenu «l'homme qui jouait à l'oreille des éléphants.» 

    • Juste retour des choses! acquiesça Julie.

    • Je pense que les animaux, même sauvages, ne sont pas à l'abri de la solitude.

    • Et pourtant vous, reprit Julie, c'est bien cela que vous êtes venu chercher.

    • Oui tu as raison, même si je ne suis pas un animal ordinaire, enfin je crois, dit-il en rigolant. Cela fait partie de mon équilibre. Au contraire, moi je souffre d'un trop plein de sollicitations, d'un maelstrom permanent. Je suis venu changer de rythme pour pouvoir jouer ma vie pianissimo, sans fausse note, si je puis dire! 

    • Je comprends....mais pourquoi ici? 

      Un lapin, curieux, vint se planter dans le faisceau de lumière, nous regardant fixement; puis il tourna le dos négligemment, laissant entrevoir son pelage gris clair et par petits bonds regagna tranquillement le fossé de l'autre côté du chemin. Julien prit une longue respiration avant de répondre, en la fixant dans les yeux. 

    • A la verticalité de la ville je suis venu chercher l'horizontalité d'une nature qui s'ouvre à moi sans retenue. L'air «millésimé» d'une région où l'eau et la terre font bon ménage. Un endroit que les oiseaux ont choisi en fins connaisseurs. En voyant passer les cigognes tout à l'heure, j'ai compris pourquoi on les avait associées à notre naissance: elles acheminent vers nous tout ce qu'il y a, de vie, d'innocence au sens riche du terme, de fraîcheur et d'avenir. Si seulement l'humanité savait lire ces signes de la Nature!

      Julie avait du mal à faire rouler son vélo droit, tant elle était subjuguée par les propos écologiques de Julien. Si seulement certains villageois pouvaient entendre ce discours, pensait -elle. 

      Julie voyait arriver le carrefour où ils devraient se séparer. Elle redoubla de questions.

    • Que pensez-vous du mouvement écolo actuel? Allez y, je suis prête à tout entendre.

    • C'est un sujet de dissert que tu me proposes? Il faudrait des heures pour répondre. Je crois que la réflexion sur la Nature est très ancienne. Les présocratiques en parlaient déjà. Mystérieuse d'abord, puis on va commencer à l'expliquer pour pouvoir agir sur elle et éventuellement l'améliorer. A mon humble avis, égoïstement, l'être humain n'a pensé qu'à son avantage, qu'il a appelé progrès! Pourrait-on enfin, penser autrement  la Nature! Est-elle devenu ce paradis perdu que l'on a négligé? La notion d''anthropocène devrait être toujours  d'actualité. L'être humain est-il le seul à être la mesure de toute chose?..». Julien tourna la tête vers le bout du sentier et ajouta, pensif: « plus intimement, je viens entretenir ici, pour répondre à ta question, la nostalgie d'une adolescence passée: les poèmes des grands auteurs qui berçaient mes rêves, mes pensées, mes idéaux....mais ça n'a aucun intérêt, pour toi finit-il  pour ne pas s'épancher.

Julie buvait ces paroles et avait complètement oublié que sa mère l'attendait.

    • Jolie cours de philo. en peu de mots. C'est votre matière, peut-être.?

    • Pas du tout, répliqua Julien, en éclatant de rire.. Je suis dans les finances, l'économie....hélas! ....dit-il en soufflant, tout en fermant les yeux.


      Ainsi s'acheva leur première rencontre. Julie fila sur son vélo, fendant la nuit avec sa lampe à l'avant, zizzaguant dans le chemin et Julien satisfait d'avoir rencontré une jeune fille pleine de vie, de curiosité, d'énergie, comme il l'était à cet âge là.

      Dès qu'il arriva à la baraque, après un dernier coup d'oeil au ciel, pour voir s'il ne surprendrait pas une étoile filante porte bonheur, il monta dans la chambre et s'affala sur le lit pour un repos mérité. Las, en se séparant du téléphone, il vit qu'il avait plusieurs messages de sa boîte. « Non, non et non! Ils attendront demain» pesta-t-il ! »

         

À SUIVRE...


JACKY ARLETTAZ