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Le souffle du passé -18- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                                  18


 A peine avaient-ils touché terre qu'une déflagration retentit. Une balle siffla au-dessus de la tête des deux comparses, déchirant au passage des feuilles de vigne. Jeannette tressaillit, serrant les poings pour ne pas hurler.

 Un long silence de plomb pesa sur les lieux. Pour Jean Paul, coincé dans le fossé, ne pouvant se dissimuler, et Paul, la main crispée sur la corde, n'osant pas bouger d'un millimètre, le temps qui s'écoulait, paraissait durer une éternité.

 Julien se forçait à rester concentré pour éviter tout dérapage. Il murmurait régulièrement : « Surtout  ne bougez pas. Restez couchés. Je vous ferai signe. » Paul et André faisaient circuler le message, comme ils pouvaient, du bout des lèvres.

 La nuit noire rendait la scène encore plus angoissante. Seuls, le bruit du moteur qui ronronnait au ralenti, les deux phares obstinément braqués vers l'avant, défloraient l'espace et une musique douce sortant de la portière entr'ouverte, dénotait avec la situation enfiévrée. Sans broncher, une longue colonne de platanes rangés en un bataillon, prêt à intervenir, surveillait la route. Le temps s'était arrêté.

 On aurait pu penser au tournage d'une scène d'un mauvais polar, jouée par des acteurs de second plan, qui ne connaissaient pas du tout le script et une femme, venue de nulle part, tenant maladroitement le premier rôle : une recrue de dernière minute qui allait imposer le scénario à venir. Tous attendaient le clap de fin... pour se détendre.

 C'était la première fois que Julien se faisait confisquer la maîtrise d'un événement. C'était la première fois également, qu'il était pris au dépourvu, ne sachant comment anticiper, ni quelle attitude adopter...sinon attendre. « Indigne d'un metteur en scène !» rumina-t-il. Il pensait aux risques qu'il était en train de faire courir à ses camarades, à Jeannette qu'il mettait en danger, inconsidérément. Il en tremblait d'angoisse ...et de rage. Il était pris à son propre jeu.

 

 C'est un véhicule venant en sens inverse qui vint résoudre le problème ; c'était sûrement un camion, au bruit d'un diesel toussotant qui leur parvenait. Il éclaira la scène de ses gros phares ronds et la route s'illumina comme par enchantement.

  Le temps que Julien tourne la tête, la jeune femme était montée dans son bolide. Dans un bruit de pneus, assourdissant, elle démarra en trombe renversant et écrasant au passage la marionnette. La torche, aussi, avait rendu l'âme.


 Quelques minutes s'écoulèrent avant que tous les membres de la bande se retrouvent sur l'asphalte, apparemment soulagés et heureux. Julien descendit du talus, les rassura et leur dit qu'ils avaient eu chaud, mais que leur discipline leur avait évité un dénouement tragique. Robert remercia cent fois, la larme à l'oeil, Julien, pour lui avoir sauvé la vie. «Non! tout cela est de ma faute! répondit-il, J'aurais du penser à ce genre de situation. Pauvre dame, elle aurait pu, elle aussi, être responsable d'un homicide, autant involontaire... qu'inutile !»

 Il était temps de se remettre de ces émotions. Julien convia tout le monde au café de la place, pour une tournée générale.


 Beaucoup plus tard, à la fermeture, ils quittèrent le café, l'un après l'autre.

 Julien décida de raccompagner Jeannette, encore tremblante, chez elle, près du canal, dans le quartier haut. Mais apparemment, Jeannette ne voulait pas rentrer. La nuit était belle et elle ressentait encore la peur. L'attente interminable après le coup de feu, sans nouvelle de Julien l'angoissait encore et sur un ton mi-joyeux, mi-réprimande, elle lui répéta : « Je ne veux pas te quitter ce soir! Tu te rends compte que l'on aurait pu finir bêtement, descendus comme des lapins en plein champ? Ou, l'un de nous deux aurait pu y rester...ça aurait été terrible car la séparation eût été insupportable....Et puis pas comme ça! On ne pouvait pas se quitter comme ça ! Non ! Il lui prit la main, et serrés l'un contre l'autre ils empruntèrent lentement le «chemin des dames».

 A moitié trajet, elle l'entraîna dans une vigne où ils passèrent la nuit à s'aimer. Avant de s'endormir, épuisée, elle lui murmura tout doucement à l'oreille : « On a dix-huit ans, Julien....ce n'est rien dans une vie. Promets- moi que dans dix- huit ans, on s'embrassera aux yeux de tous, sur la grand’ place du village. Au pied de la Collégiale. » 

 Julien fixa longuement ses grands yeux bleus où il faisait bon vivre… sans avoir envie d'ailleurs. Il lui sourît avant de répondre :« Pourquoi pas le jour de Noël ? Ce serait un beau cadeau pour tous les deux !»


 Eh ! oui, dix- huit ans déjà ! ressassa Julien. »


À SUIVRE...


JACKY ARLETTAZ