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Le souffle du passé -2- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                                           2


 Julien s'extirpe enfin du lit, ouvre en grand les volets bleus. Une lumière violente inonde la pièce et lui fait cligner les yeux. Il aspire deux grosses bouffées d'air iodé, s'étire bruyamment, puis s'accoude à la fenêtre pour apprécier le paysage. Ses paupières sont encore lourdes.

 Il n'a pas beaucoup dormi et ressent la fatigue d'une longue année de travail acharné et le long trajet de la veille. Hier soir, en arrivant à pied depuis la gare, exténué, il est resté longtemps sur la terrasse à regarder fixement la lune, se laissant bercer par le ressac.

 Julien avait toujours été fasciné par ce point lumineux qui le toisait, la nuit, lui faisant des clins d'œil, entre les deux hautes tours qui encerclaient son immense appartement. Pas un point final, qui s'enorgueillirait de mettre un terme au règne du soleil. Ni un point d'exclamation qui dénoterait un désir d'autorité. Non, plutôt un point d'interrogation, pensait-il. Ne serait-ce pas une ballerine, accusant par sa rondeur, un excédent de poids, qui serait moquée par les danseuses étoiles, au point de ne sortir que la nuit, en cachette ? Pourquoi tant de timidité ? Ne devrions-nous pas lui rendre sa liberté pour qu'elle puisse aller danser dans l'espace sur la ballade d'Offenbach composée en son honneur ?

  Face à Julien, un voilier au mât effilé, se penche jusqu'à toucher son reflet dans l'eau. Un brin d'écume, barbouille de blanc le dos des vagues. Au loin, un vol de flamands roses traverse le ciel en traçant de leurs corps graciles des lignes horizontales sur un horizon encore taché d'orange.

 Pour mieux s'énivrer de l'air frais et humide, il traverse la chambre et ouvre l'autre fenêtre qui donne sur le côté. Maintenant son regard se perd dans le camaïeu de bleu confectionné par les étangs. Par endroit, quelques rayons de soleil, prisonniers, essayent en vain de s'échapper, laissant dans leur fuite, un long filet verdâtre dans l'eau impassible. Deux hérons cendrés pataugent et délicatement lèvent haut leurs pattes. Sans un bruit ils font des pointes, pour ne pas réveiller le voisinage…ou bien ils s'éclipsent après une soirée arrosée ? Tout au bout du chemin de terre, une montagne de sel grisâtre lui barre l'horizon.

 Se yeux courent partout. Pour ne pas perdre une miette du spectacle. Un spectacle permanent certes, mais dont il n'y a qu'une représentation : celle de l'instant présent. Pas question de se laisser distraire !

 Les yeux et les oreilles à l'affût, son attention est toutefois attirée à sa droite par un chien qui fonce à toute allure de l'autre côté de l'étang le plus proche. Lors de sa course folle, quelques foulques dérangées, peinent à prendre leur envol au ras de l'eau. Ce manège amuse Julien. Il observe ce chien

jeune d'apparence, infatigable qui prend son élan sur la berge pour mieux sauter dans l'eau, à la poursuite d'un colvert ou d'un goéland qui paresse encore, dans une gerbe d'éclaboussure. Nullement découragé, il sort sa truffe de l'eau, trace un sillon à la surface de l'étang et regarde à regret les oiseaux encore une fois lui échapper. Il en aboie de rage. Surtout qu'au passage au-dessus de sa tête, ils ne se privent pas de lâcher un cri moqueur. Inlassablement le même scénario se répète, avec la même énergie, la même chute, la même issue. Ou presque...car un cri aigu venant de l'arrière de la baraque, vient de retentir, en même temps qu'une silhouette, que Julien devine plus qu'il ne voit, glisse derrière le vieux figuier. Immédiatement, comme par miracle, le chien sort de l'eau, s'ébroue dans un halo de gouttelettes, et vient à la rencontre d'une longue chemise parme, échancrée, sur laquelle coule une longue chevelure brune. Trop loin pour en distinguer plus. Il devine en plissant ses yeux, une silhouette féminine qui avance pieds nus sur le chemin, la tête baissée, sûrement pour éviter les cailloux, et repoussant d'une main les assauts répétés du chien trempé. Après quelques zigzags, il remarque que la silhouette fait une halte, et se penche dans les roselières. Elle en extrait avec force, ce qui ressemble à un vélo, qu'elle enfourche, et disparaît au loin flanquée de son fidèle compagnon.

  La scène avait été si brève et si inattendue que Julien se demande s'il n'a pas rêvé. Surtout que par moment, avec la réverbération du soleil sur le miroir de l'étang la silhouette laissait place à une boule illuminée qui l'éblouissait, au point de ne plus pouvoir la fixer.

 D,où venait-elle ? ? Comment se fait-il que sa seule présence, telle une feuille morte tombant sur l'eau, vienne troubler l'atmosphère ?

À SUIVRE....


JACKY ARLETTAZ