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Le souffle du passé -27- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                 27


 Julien ne tarda pas à constater que cette dispute « au sommet » avait eu les effets d'une implosion.

 Dans un premier temps, la bande se scinda en deux, chacun choisissant son camp. L'opposition des romantiques et des rationnels, comme l'avait appelée René, avait creusé un fossé entre les deux partis.

 Quelques-uns des plus fidèles lieutenants de Julien étaient venus plaider la cause de Jeannette, mettant en exergue l'exaltation des sentiments contre la froideur de la raison.

 Julien revisita à l'occasion, ses cours de littérature : l'importance donnée à l'émotion interne, qui tourne quelquefois à l'illumination. Il comprenait qu'ils se soient rangés derrière Jeannette, tant ils appréciaient la personne, et qu'en s'éveillant à la vie   amoureuse, eux-mêmes, ils choisissent la beauté d'une idylle qui finit bien. 

 Il ressentait leur mal-être, la nostalgie d'une adolescence qu'ils vont quitter à regret et   dont ils ne voudraient garder que de bons souvenirs. Et ce parfum d'une mort qui rôde, prête à faire vaciller les idéalistes, aspirants à la perfection.

 Il repensait à son professeur de lettres qui citait Léon Daudet, lequel qualifiait les romantiques de « moitrinaires », ceux qui explorent l'orifice qu'ils connaissent le mieux : leur nombril. Mais non… voyons ! Il n'en était rien de tout cela : Julien savait pertinemment que ses camarades étaient meurtris, et essayaient de réparer... ce qui allait devenir irréparable.


  Julien, inflexible, se retrouvait, malgré lui, à la tête d'entêtés « rationnalistes » . Il pensait, contrairement aux « romantiques », que de différer la cohabitation avec Jeannette serait gage de solidité et d'assurance, pour un meilleur avenir.


 Las ... ! avec le temps et l'intransigeance des deux partis, il assista, impuissant, à la dérive des continents : plus les jours passaient et plus les liens se distendaient, jusqu'à   l'intérieur même de chaque parti. C'est ce constat désolant, qui le décida à s’exiler à Paris, non sans regret, mais persuadé que c'était la meilleure solution. Depuis, il n'était pas retourné dans son village.

 Avec un peu de recul et les informations sporadiques qu'il avait pu obtenir, il savait que tous les membres de la bande étaient mariés et coulaient des jours heureux avec leurs enfants. Seuls, Jeannette et lui pourfendaient la vie en solitaires. Un comble pour ceux dont on avait prédit le plus merveilleux avenir. Il en rit quelquefois, encore, avec le détachement que lui permet l'ironie.


 La faim qui le tenaillait sonnant l'alarme, Julien rentra précipitamment à la baraque, la tête lourde de tracas. Après un repas plutôt frugal, il entreprit de traiter les sujets qui l'interrogeaient. Pour cela, il posa son bloc de papier sur la table de la terrasse et,           tourné en direction de la mer pour bien se concentrer, entreprit de rédiger deux lettres: la première, pour ses collaborateurs, en listant tous les arguments qu'il allait devoir développer et qui avaient participé à sa prise de décision, et la deuxième adressée à Jeannette,

 Il prit son temps, mais se sentit libéré lorsqu'enfin il reposa son stylo sur la table.  


À SUIVRE...


JACKY ARLETTAZ