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Le souffle du passé -3- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                          3

 Comment une seule présence, pouvait déplacer son centre d'intérêt, alors qu'à Paris, au contact de centaines de personnes tous les jours, il restait impénétrable ? Mais la solitude qu’il recherchait ne se traduit pas forcément par le refus de l'autre, réfléchit-t-il...c'est peut-être simplement accepter l'autre comme autre. La preuve, c'est qu'il aimerait bien mettre un visage sur cette silhouette. Peut-être même qu'il aurait envie de l'aborder, lui parler. On n'est pas trop de deux au paradis, imagina-t-il en souriant.

 

 Pensif, Julien a failli rater la descente de l'échelle de meunier qui débouche sur la salle multi- fonctions. L'idée de dévorer un petit déjeuner copieux, accompagné d'un café fumant lui redonne de l'énergie. Sur la planche de bois posée sur deux tréteaux en pin, qui trône au milieu de la terrasse, abritée par une canisse, confiture d'abricot, beurre, pain grillé et céréales se font concurrence.

 Tout en mangeant, Julien fait provision des couleurs matinales et notamment des bleus qui s'étalent devant lui, à perte de vue. La mer reprisée par endroit de fil blanc, et le ciel azuré, tacheté de nuages ouatés se livrent une lutte sans merci, jusqu'à ce que, au loin, l'horizon les sépare.

Mais enfin, pourquoi le bleu est-il une couleur froide ? Se demande-t-il alors que pour lui c'est la couleur de l'été, la couleur des vacances, la couleur de sa région...mais surtout la couleur des yeux de son premier amour. C'est dans les yeux du visage de cette douce adolescente qu'il en a vu passer toutes les nuances. Depuis le bleu lavande du premier regard langoureux, au bleu nuit de la séparation, en passant par le bleu saphir des promesses et le bleu électrique de la déchirure. Sans parler de ces bleus à l'âme, qu'il n'a jamais réussi à panser, depuis.

 Un bruit sourd, insistant, attire son attention : c'est son téléphone portable qui se met à vibrer, faisant des sauts de puce sur la table de fortune.

 Julien hésite un moment, puis prend l'appel.

    • Allo ?

    •  Bonjour Monsieur Portal c'est....

    • Denise, j'avais dit de ne pas me déranger, répond sèchement Julien

    • Je sais. Ce sont vos deux adjoints qui demandent en urgence vos arbitrages.

    • A quel sujet ?

    • Le remplacement de votre secrétaire, en congé de maternité, et surtout votre avis sur un énorme projet d'investissement qui nous est arrivé par télex, cette nuit.

    • Je ne serai de retour que dimanche soir. Dites à Anna et Peter de m'envoyer les éléments du dossier. Quant à la secrétaire…

    • Ils proposent, la fille de Mr Ralinger, celui qui vous prête l'appartement que vous occupez à Monte Carlo.

    • Qu'ils règlent ce problème ! dit rapidement Julien et avant de raccrocher, sur un ton plus plaisant, ajoute : je vous aime bien Denise mais, s'il vous plaît, oubliez-moi !


Julien n'avait donné aucun indice concernant son lieu de résidence. Il imagina les réactions de ses collaborateurs, s'ils apprenaient la vérité. Qui, dans sa boîte, penserait, que je choisisse un séjour dans une baraque en planches alors que l'on m'offre un appartement luxueux sur la Côte d'Azur ? Qui pourrait comprendre qu'à la place d'une station prisée je préfère un endroit désert ; un havre de paix où je suis incognito, plutôt qu'une fourmilière de gens pressés qui ont hâte de s'afficher pour se convaincre qu'ils ont de l'importance. Qui choisirait comme moi, un monde grand ouvert sur la nature, à un grand monde, fait d'artifices qui finissent au feu. Une paire de baskets et un sac à dos plutôt qu'un bolide vrombissant aux chromes étincelants ? Un tee-shirt délavé, plutôt que l’armure d'un costume sur mesure tombant sur une chemise au col empesé ? Qui ?

Ils croient encore que c'est grâce au droit, à la finance, même à la médecine, que l'on vit…alors que c'est pour la poésie, la beauté et l'amour que l'on vit.


À SUIVRE....


JACKY ARLETTAZ