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Le souffle du passé -31- (Feuilleton)


Le souffle du passé                     31

 C'est un merle siffleur qui, au petit matin, est venu le réveiller, en venant faire ses vocalises sur le figuier. Julien sachant que les chants d'oiseaux précèdent le lever du soleil, eut tôt fait de se mettre en route. Avant de repartir dans les brouillards des bords de Seine, il voulait surprendre l'astre suprême. Assister au lever du Roi Soleil, sans cérémonial, ni courtisan : un luxe qui n'avait pas de prix, tant il était rare... et pourtant toujours offert.


C’est en empruntant le long chemin qui l’avait conduit jusqu’à la baraque, la semaine dernière, qu’il réalisa qu’il vivait la fin d’une histoire, comme l’apparition de la silhouette flanquée de son chien, s’évanouissant au loin, en avait été le début.



 L'aube blanche teintait encore l'horizon. Julien traversa les prés salés, et emprunta la langue de terre qui flâne entre les étangs. Autour des capetchades, maintenues par des piquets qui se dressaient en sentinelles, les flamands roses s'étaient regroupés à l'abri du vent. Dans l'étang voisin, cachés derrière les roselières, Julien devinait que la réunion du matin avait commencé pour les canards sauvages : foulques et colverts rivalisaient de talent oratoire, pour faire circuler les nouvelles fraîches. Plus loin, un héron dépliait ses longues ailes, semblant s’étirer après une chaude nuit.

 Il continua à avancer vers la mer, mais le sol devenant plus humide et meuble, il préféra s'installer au milieu des touffes de salicorne.

 Il sortit son appareil photo et commença à scruter le ciel... minutieusement.

 Toujours ponctuelle, l'aurore venait annoncer, de ses voiles, vertes et bleues par endroit, l'arrivée tant attendue. D'abord un crâne dépassa à l'horizon, puis une boule     de feu éclaboussa le ciel, dégoulinant de filaments orangés qui se mirent à glisser à la surface de l'eau. Magique ! Julien mitraillait l'horizon, préférant emmagasiner des vues plutôt que profiter de l'instant présent : rien ne vaut un instantané que l'on revoit à l'envie, qu'une image cachée dans la mémoire qui s'estompe peu à peu, pensa-t-il.  Telle cette aigrette blanche à bec noir et doigts jaunes qui vint à passer dans l'axe du soleil, ou les premières barques plates du matin, traînant les filets à l'arrière, ou encore ce tout petit nuage semblant nettoyer le ciel pour que sa majesté s'installe confortablement, qui s'invitèrent sur les photos.

 En même temps, il fit provision de ce parfum iodé, énivrant, qui flottait dans l’air, dont il emplit ses poumons.

 C'est à regret qu'il commença à ranger son matériel, avant de rebrousser chemin et s'orienter vers la gare. Une longue marche l'attendait. Il s'enfila dans les ruelles du village en circulade. Les commerçants commençaient à exposer leurs produits sur les étals, d'autres, sans se presser, faisaient glisser leurs rideaux métalliques dans un grincement aigu. Au passage, il fit une halte dans une boulangerie, n'ayant pu résister au parfum des viennoiseries qui embaumait déjà la rue. Il finit par trouver la mairie, glissa une enveloppe dans la boîte à lettres, et, soulagé, s'achemina calmement vers la gare.


 Il était 7h50 quand Jeannette poussa les portes en verre du long bâtiment. 

 Elle salua tout le monde de sa voix chaleureuse. Maryse, la dame de l'accueil, lui tendit une enveloppe, qu'elle prit au passage. Elle regagna son bureau, rangea son sac dans le tiroir du bas et posa la lettre sur son sous-main en cuir. Elle la soupesa, dans un premier temps, la tourna dans tous les sens, intriguée. L’enveloppe n'était pas timbrée, ne comportait que son nom sur une face, mais pas celui de l'expéditeur au dos.

 Après un temps d'interrogation, la curiosité l’emporta : elle prit son coupe papier, lui ouvrit le ventre d'un coup sec et sortit délicatement une feuille blanche écrite manuellement.

 

Jacky Arlettaz


À SUIVRE...