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Le souffle du passé -5- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                                  5


    Comme narrateur, je profite que Julien après un bon repas se soit assoupi sous un pin parasol pour vous parler de lui…sans qu'il l'entende.


 Il est né dans un village qui sommeille au fond de la panse héraultaise. Un village qui fut à la fois mère nourricière de ses rêves, mais aussi souricière, le tenant en otage dans ses rues sinueuses, maladroites, où le soleil n'a pas d'amis, si ce n'est quelques ombres qui chuchotent leur vieillesse.  

 Ce village anthropophage, lance dans les airs une énorme et à la fois légère Collégiale, sur la grande place faire le guet sur la plaine narbonnaise. Cet état d'éveil permanent lui a valu sans doute de contrarier le téméraire, de dissuader le passant, de détourner la curiosité des touristes en mal de découverte, vers d'autres lieux.

Ce lutrin écrasant de noblesse, aux créneaux dentelés, aux gargouilles menaçantes garde jalousement en secret de précieux trésors qu'il réserve aux villageois. Son clocher, imperturbable métronome, scande le temps, et lui rappelle qu'il a rythmé sa vie dix-huit années durant.

 La vie s'y écoule sans faste, comme les filets d'eau claire des fontaines publiques que récoltent les cruches d'étain. Sa respiration s'accélère seulement aux abords de la grande clairière, découpée dans une forêt de maisons agglutinées : au pied de l'église, sur la grande place, c'est là qu'on l'entend respirer, à plein poumons.

 Julien avait pour habitude d'échapper à ses entrailles. D'une seule course, il grimpait jusqu'au vieux pont de pierres, qui fait le dos rond sur le Canal du Midi. Il pouvait rester des heures à observer les péniches : elles glissaient avec une infime discrétion sur l'eau verdâtre, faisant éclater des vaguelettes en gerbes de mousse. C’est là qu'il écrivait ses poèmes. Un en particulier, dont il se souvient encore. Son professeur de français, Mr Pouech, l'avait affiché au fond de la classe.

 De mémoire c'était à peu près ceci :


 C'est par coquetterie, que le vieux pont de pierres

 De festons de mousse maquille ses artères,

 Fourbu mais généreux, il prête encore le flanc

 Aux maladroits bateaux qui glissent nonchalants.

 Déchirent de l'étrave, la verte serge,

 Semant des rides qui vont gifler les berges.

 

Tous les matins, dans ce miroir magique,

 Il revoit son enfance, le temp idyllique,

 Quand il s'épanchait pour quelque lavandière,

 Le tablier noué, l'amour en bandoulière,

 Quand les barcarolles des couples amoureux,

 Venaient se réfugier, à l'ombre de sa voûte.

 Pour un baiser, une déclaration, sans doute ?

 Avant de rejaillir, brusquement au soleil,

  Inondées de bonheur, habitées de merveilles.


 C'est dans son cœur qu'il coule, son plus fidèle ami,

 Mais ne s’arrête point... le Canal du Midi.

 Messager de la mer, il porte ses présents,

 Vers des rivages d'or, qu'habite l'Océan.


 Cette distinction lui avait valu, un regard particulièrement tendre, de la part de Mylène, déjà petite femme aux grands yeux en amande, au nez retroussé, criblé de taches de rousseur…mais aussi le regard noir de Serge qui lui faisait une cour assidue.

 Pourtant, sa tête, c'était Jeannette qui l'habitait


À SUIVRE....


JACKY ARLETTAZ