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Le souffle du passé -6- (Feuilleton)


Le souffle du passé                                    6

 Elle séjournait dans l'antichambre de ses pensées. Patiemment. Sans précipiter les choses, elle arrivait à lui parler dans son sommeil, mais seulement pour lui dire des choses agréables. Ses mots tendres, ses éclats de rire assaillaient sans précaution son pessimisme naturel, jusqu'à ce qu'il rende les armes. Paradoxalement, plus elle se serrait contre lui, et moins il étouffait.


 Alors que le village, dans son bain de vapeur, s'étirait paresseusement dans une moiteur contenue, on devinait la concurrence exercée par les deux éléments sur-naturels: en haut, le Canal du Midi, comme lieu de passage, pour sa force d'attraction, sa fraîcheur, le jour. En bas, le village et sa flèche pointée vers le ciel, comme refuge et repli stratégique pour mieux affronter la nuit. Pour l'un, l'horizontalité humble, tenace et reptilienne. Pour l'autre la verticalité altière. Pour l'un la voie de communication. Pour l'autre, la communication des voix. L'un pour  l'eau d'ici, l'autre pour l'au-delà aurait pu même ajouter subtilement Bernard le cafetier. 

 Julien jouait de cet antagonisme et faisait enrager Jeannette, lui soutenant qu'elle était des quartiers hauts et lui des quartiers bas. Comme dans certaines tragédies classiques la fin de leurs amours morganatiques serait forcément épique. Jeannette lui soutenait que rien ne pourrait les séparer.

 Ensuite Julien rejoignait ses fidèles amis: Jeannot, le finaud, André le téméraire.   C'est Jeannot qui avait eu l'idée géniale d'attacher à la plus haute branche d'un platane patriarche, un câble robuste, dont la boucle à l'autre extrémité allait friser l'eau. Il ne restait plus aux casse-cous, qu'à s'élancer de la butte de terre, au dessus du chemin de halage, les mains accrochées à la liane d'acier, le pied droit à l'étrier....et à tournoyer dans les airs avant d'être englouti en un clin d'oeil, dans l'eau verdâtre. Le plus souvent, allongé dans un tapis de feuilles et d'herbes sauvages, une brindille entre les dents, Pierre notait la qualité des plongeons: sévère...mais impartial. Il tenait compte de la figure effectuée et de la hauteur de la gerbe d'eau soulevée.

 En fin d'après midi, il redescendait jusqu'à la grande place par le «chemin des dames»: une venelle brisée qui frétillait entre les vignes dorées. C'est là, dit-on, dans cette sous-pente abritée du vent, piquetée de fleurs jaunes, que de belles demoiselles ont posé leur tablier de lavandière, leur bac en zinc rebondi de chemises et de pantalons, et dépenaillées, ont abandonné leur vertu dans la musique d'un mince filet d'eau qui suinte. C'est là que le soir, il aimait retrouver Jeannette.

 Il s'installait ensuite sur un banc, toujours le même, sous la tignasse des platanes et regardait le va et vient des joueurs de boules. A côté de Louis, le vieil instituteur, réduit au rôle de spectateur, tant il avait le dos vermoulu par des rhumatismes déformants.

 Louis était un conteur désespéré, jamais rassasié, toujours en quête de fantastique, d'irréel, jouant avec les mots, avec une extrême élégance. Il disait souvent que la radio et surtout la presse, comme son nom l'indique, sont des sprinters qui courent contre la montre. Moi, je préfère les phrases endurantes qui laissent le temps aux mots de faire connaissance: il faut d'abord qu'ils s'aiment avant de se faire aimer!

À SUIVRE...

 Jacky Arlettaz