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Comprendre le monde pour le changer


Comprendre le monde pour le changer. Épistémologie du politique

Le déterminisme

L’intelligence du monde que donne la science permet d’agir sur l’ordre des choses.

Le déterminisme est au fondement de l’intelligibilité du réel. Le monde, présent et passé, est intégralement déterminé et, pour cette raison, il est intégralement compréhensible et explicable. Tout ce qui advient est déterminé dans le monde de la nature comme dans celui de l’histoire, dans le fait que la pierre se détache et provoque un éboulement, comme dans celui qu’un individu commet un lapsus et suscite sa gêne et celle de ses interlocuteurs. En ce sens les sciences de l’homme ne se distinguent pas des sciences de la nature : le déterminisme ne connaît pas de frontières, il régit toutes les choses du monde. 

Faut-il voir dans la société un processus naturel ou un processus vital ? Adopter une démarche individualiste ou une approche holiste ? Mettre l’accent sur la rationalité des individus ou sur les effets pervers induits par la situation ? Insister sur le rôle de l’acteur ou sur le déterminisme qui pèse sur lui ? Personne ne peut en raison arbitrer entre ces propositions, chacun a sa propre vision du monde : les Anciens se référaient à la nature, les Modernes ne connaissent que l’histoire. 

Explications vs prévisions

Si le savant peut tout expliquer, il ne peut tout prévoir. Son pouvoir tient à sa faculté de dire comment cela s’est passé, il sait rétrodire mais il n’a pas la faculté, contrairement à ce que pensait Durkheim, de tirer du passé des enseignements pour l’avenir, parce que celui-ci est contingent, parce qu’un événement inattendu peut toujours contrarier ce qui, au moment de la prévision, relevait de l’ordre du possible. La spécificité des sciences sociales sont aux prises avec un monde infiniment complexe. 

Liberté

La liberté est la possibilité d’agir et non l’action elle-même. Cette liberté relève de l’intime, hors du monde réel et, pour cette raison n’a guère de sens et d’intérêt sociologiques. Le travail des sciences sociales se limite à l’analyse des conséquences, voulues et plus souvent non voulues de la décision, leur interdisant ainsi de saisir le sens que l’individu donne à son action, les bonnes raisons qui l’ont guidé dans son choix. 

Les hommes font leur histoire sur la base de conditions antérieures mais ce sont eux qui la font et non les conditions antérieures. L’action est plus riche que ce qui la détermine. Quelque chose échappe à l’habitus.

À un moment où il est de bon ton de placer l’action politique à la conjonction de la banalité et de la corruption, il est raisonnable de rappeler la part de tragique qu’elle recèle et la responsabilité qui pèse sur l’homme politique. 

Réfléchir sur le vivre-ensemble

Dans la tradition du libéralisme, les individus peuvent, dans l’espace de la politique comme dans celui de la science, s’accorder sur une table commune de valeurs ou sur un consensus par recoupement. Pierre Favre ne pense pas seulement, que la science permet, par ses conclusions, d’informer l’homme de l’art et de guider ses choix ; il ne croit pas que la science est nécessairement révolutionnaire par son pouvoir de dévoiler les mécanismes sociaux de domination. Il invite simplement, et plus profondément, la science politique à ne pas se complaire dans la dénonciation, à prendre position dans le débat avec d’autant plus de force qu’elle réfléchit sur le vivre-ensemble. Définissant la théorie politique comme la réflexion rationnelle sur les conditions d’un fonctionnement social au profit de tous et donc sur les maux et les désordres à combattre et sur les moyens de faire advenir une vie collective équilibrée, il retrouve le sens que lui donnaient les Anciens : la recherche du meilleur régime. Débarrassée de toute neutralité, la recherche politologique doit être guidée par l’inquiétude axiologique et réfléchir aux grandes questions – la justice, la délibération, la démocratie tout simplement – qu’elle a, par frilosité ou par principe, laissées aux marges de la discipline. 

EXTRAITS D'UNE LECTURE CRITIQUE DE «COMPRENDRE LE MONDE POUR LE CHANGER» DE PIERRE FAVRE, PAR MARC SADOUN, À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ SUR LE SITE DE SCIENCESPO


Pierre Favre, Comprendre le monde pour le changer. Épistémologie du politique, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2005.