Accueil > Blog > Démocratie, gouvernances > Confédéralisme démocratique, écologie sociale et municipalisme libertaire dans le chaos syrien

Confédéralisme démocratique, écologie sociale et municipalisme libertaire dans le chaos syrien


Confédéralisme démocratique, écologie sociale et municipalisme libertaire dans le chaos syrien

L’utopie du Rojava

En janvier 2014, les cantons libérés du Rojava (Kurdistan syrien), se fédèrent en communes autonomes qui, sur les bases d’un contrat social, s’appuient sur la démocratie directe pour la gestion égalitaire des ressources. C’est en échangeant avec Murray Bookchin depuis la prison turque, où il purge une peine d’emprisonnement à vie, que Abdullah Öcalan, leader historique kurde, réoriente la stratégie politique du PKK et abandonne le marxisme-léninisme des origines. Le projet internationaliste approuvé par le PKK en 2005, et après par son parti-frère en Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD), est de réunir les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste.

Un modèle de démocratie directe au sein d’une Fédération pluri-ethnique et pluri-confessionnelle – entre Arabes, Kurdes, Turkmènes, Chrétiens Syriaques, Tchétchènes et Arméniens) – en plein coeur d’une mini guerre mondiale dans laquelle sont engagées les forces armées des pays les plus puissants du monde (États-Unis, Russie, Chine, Turquie, France…). Les Kurdes ont en effet réussi le tour de force d’embarquer les autres peuples de ce territoire (environ 30% de la Syrie) dans une authentique utopie pluraliste et démocratique. Le Rojava constitue une double révolution, celle de l’émancipation de la femme et celle du système éducatif. Au sein de chacune des assemblées, la parité absolue femmes-hommes est respectée, toutes les populations sont représentées et les 3 principales langues sont reconnues (Arabe, Kurde, Syriaque). La même philosophie s’applique dans les écoles où l’éducation est proposée dans ces différentes langues. Si bien que si les Arabes et les autres peuples pouvaient être sceptiques au départ, les différentes populations ont vite adhéré à ce mode de fonctionnement si vertueux en comparaison du régime autoritaire et nationaliste syrien.

Le système mis en place est le meilleur qu’ils aient connu

Début 2018, l’invasion par la Turquie (avec le blanc-sein de la Russie) du canton d’Afrin et de la bande de terre entre Tal Abyad et Serekaniye, a gravement amputé le territoire du Rojava.  L’objectif du pouvoir turc était de provoquer un soulèvement arabe contre les Kurdes afin de briser l’unité existante. Erdogan avait en effet alors procédé à un grand nettoyage ethnique en remplaçant les centaines de milliers de personnes qui ont fui par des réfugiés arabes sunnites. Ce changement démographique avait pour objectif de supprimer la population kurde. Mais, contrairement à ce qu’ont pu laissé croire de nombreux médias à l’époque, la Fédération autonome du Nord et de l’Est de la Syrie n’a pas disparu. Bien au contraire, cette agression turque a en fait rapproché les peuples qui se sentent encore plus unis et solidaires qu’avant. Une grande majorité des Arabes, Turkmènes et Syriaques reconnait aujourd’hui que le système mis en place est le meilleur qu’ils aient connu et que les destins de leurs peuples sont liés à celui des Kurdes. Alors que l’État-nation syrien a toujours été imaginé pour les seul·e·s Arabes, la Fédération démocratique concerne toutes les populations. Si le régime syrien a installé quelques postes armés tout le long de la frontière pour endiguer la menace turque, le territoire du Rojava reste autonome.

Non reconnaissance par la communauté internationale

Aujourd’hui, alors que les forces américaines se retirent progressivement, le Rojava est pris en tenaille entre la Turquie, qui menace d’occuper tout le nord de la Syrie, et le régime syrien qui souhaite reprendre le contrôle de l’ensemble de son territoire. Il est vrai que l’autonomie militaire des Forces démocratiques syriennes, le contrôle des ressources énergétiques et le système politique décentralisé et pluraliste avec une éducation pluri-linguistique sont de nature à agacer Damas. Mais pour qu’un accord soit acceptable avec le régime syrien, la Fédération démocratique impose deux demandes absolues en formes de lignes rouges : que l’autonomie du territoire fasse partie de la Constitution syrienne et que les Forces démocratiques Syriennes fassent constitutionnellement partie du système de défense syrien tout en conservant sont statut spécial. La communauté internationale n’a toujours pas reconnu officiellement enfin l’existence du Rojava. Est-ce vraiment un hasard ? Et si une telle utopie représentait une menace pour le système dominant actuel, sa vision de la démocratie et le modèle indéboulonnable de l’État-nation ?

ECOLOGIE SOCIALE ET MUNICIPALISME LIBERTAIRE

L'écologie sociale

L’écologie sociale étudie les relations de l’humain à la nature, et des humains entre eux. Elle a été fondée par Murray Bookchin (1921-2006), un théoricien social, communiste libertaire et écologiste politique américain originaire de New York, co-fondateur de l’Institute for Social Ecology dans le Vermont aux Etats-Unis.

Le diagnostic principal posé par l’écologie sociale est que tous nos problèmes écologiques proviennent en réalité de problèmes sociaux. Ainsi, pour comprendre l’origine des problèmes écologiques, il est d’abord essentiel de comprendre la manière dont les êtres humains structurent leurs relations au travers de leurs diverses institutions.

L’écologie sociale s’attaque ainsi au capitalisme – qui structure nos relations à travers la domination et l’exploitation des travailleurs et travailleuses, la propriété privée des moyens de production, le mécanisme du marché, l’impératif du profit basé sur la logique du « croitre-ou-mourir », ainsi qu’un rapport extractif à la nature, la non-reconnaissance du travail de reproduction sociale, et l’exploitation de celles qui le fournissent – mais également à l’Etat – qui permet à une classe gouvernante, composée d’élu.e.s professionnel.elle.s de la politique, de prendre des décisions qui détermineront la vie des classes gouvernées – et à tous les autres rapports de domination.

L’apport principal de l’écologie sociale, c’est que l’idée-même de domination de l’humain sur la nature provient de l’idée de la domination de l’humain sur l’humain, générée à travers l’histoire par la domination de l’homme sur la femme, des blancs sur les gens d’autres couleurs de peau, des riches sur les pauvres, etc. En identifiant la source des problèmes écologiques dans l’idée-même de hiérarchie, Bookchin considère rompre avec le Marxisme, dans la mesure où, selon lui, une analyse basée principalement sur la critique de l’exploitation économique court le risque de ne pas assurer l’éradication des autres types de hiérarchie. Selon lui, même si l’on abolit les rapports d’exploitation économique et d’exploitation de la nature, ce n’est pas pour autant que les autres rapports de domination disparaîtront et que l’on pourra atteindre une société égalitaire et non-hiérarchique.

Le municipalisme libertaire

Le but de l’écologie sociale est de créer une société égalitaire, libre et écologique en identifiant et en éliminant les relations de domination, et en développant les potentialités humaines à s’organiser démocratiquement et collectivement, de manière non-hiérarchique, au travers d’institutions émancipatrices.

Le municipalisme libertaire ou communalisme – en référence à la Commune de Paris de 1871, d’où provient son caractère socialiste et autogestionnaire – désigne la mise en œuvre politique et locale de l’écologie sociale.

Il s’agit d’un système politique dans lequel des institutions libertaires, composées d’assemblées de citoyens, dans un esprit de démocratie directe, remplaceraient l’État-nation par une confédération de municipalités ou communes libres et autogérées.

Le projet repose sur l’idée que la commune – plutôt que l’État-nation – constitue l’unité politique principale, une cellule de base capable d’initier une transformation sociale radicale par propagation. À ce niveau, les communautés peuvent s’auto-organiser au travers d’assemblées populaires qui fonctionnent en démocratie directe.

Le municipalisme libertaire vise à une démocratisation de toutes les sphères de la société, qui passerait par une restructuration de l’exercice du pouvoir, ainsi qu’une transformation radicale des institutions politiques, économiques et sociales.

Le municipalisme libertaire implique la décentralisation, institutionnelle et territoriale, de la prise de décision politique et économique par des communautés autogérées grâce à des assemblées populaires. 

Le confédéralisme démocratique

Pour les questions qui dépassent les limites de la commune, les municipalités/communautés autonomes peuvent s’organiser sur le modèle confédéraliste : ces communautés sont alors reliées entre elles par un réseau confédéral de délégués dotés de mandats impératifs*, révocables et rotatifs, sous la supervision constante des assemblées populaires. Ce réseau confédéral de délégués peut ainsi prendre des décisions nécessitant un certain degré de coordination de centralisation et de planification. Ce mécanisme est bien plus vertueux et efficace que celui de représentant.e.s élu.e.s tous les cinq ans qui utilisent leur jugement pour prendre des décisions, tout en ayant un intérêt personnel à leur réélection pour continuer à faire partie de la classe professionnelle gouvernante. 

Afin de bien comprendre la répartition des rôles entre ces instances, Bookchin fait une distinction fondamentale entre, d’une part, la prise de décisions politiques concernant l’orientation que la municipalité devrait prendre quant aux questions politiques, économiques, sociales, écologiques et culturelles et qui est formulée par les assemblées populaires assemblant tou.te.s les résident.e.s de la commune ; et, d’autre part, l’administration de ces décisions, à savoir la coordination au niveau confédéral et l’exécution au niveau communal qui en est faite par les délégués munis de mandats impératifs et révocables. (Un mandat impératif est un mandat émanant d’une entité et conférant une autorité limitée à la personne qui le porte, l’autorité de poser des actions en son nom dans le cadre strict des instructions et des limites élaborées dans le mandat. Un mandat révocable rend possible la destitution et le remplacement du délégué si celui-ci ne respecte pas les termes de son mandat.)

EXTRAITS D'UN ARTICLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ AVEC LES NOTES ET LES VIDÉOS SUR LE SITE L'ARCHIPEL DU VIVANT