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Confinement: jusqu’où doit aller la surveillance des Français?


Confinement: jusqu’où doit aller la surveillance des Français?

Qui aurait pensé, début 2020, que quelques mois plus tard, nous serions interdits de sortir de chez nous, sauf dérogation exceptionnelle et à des conditions d’une précision extrême? Que nous serions interdits de nous déplacer librement, de côtoyer nos proches, de prendre le train, l’avion, la voiture, le métro? Que toutes ces règles, d’une sévérité sans précédent dans l’histoire récente de notre démocratie, seraient édictées par l’État et que nous, citoyens, acquiescerions sans sourciller à ces mesures attentatoires aux libertés individuelles les plus essentielles?

Pour Giorgio Agamben : « Une société qui vit dans un état d’urgence perpétuel ne peut pas être une société libre. »

C’est le philosophe italien Giorgio Agamben, grand penseur contemporain de l’état d’exception, qui a lancé le débat il y a quelques semaines dans un texte polémique publié le 3 mars, «Coronavirus et état d’exception», dans lequel celui-ci critique vertement les mesures sécuritaires prises par les gouvernements face à la crise du coronavirus. Pris à partie par de nombreux commentateurs au moment où la pandémie explose, Agamben persiste et signe dans un deuxième texte de «clarifications» publié le 17 mars, où le philosophe fait cette remarque qui nous paraît importante: «Les gens ont été tellement habitués à vivre dans des conditions de crise et d’urgence pérennes qu’ils ne semblent pas remarquer que leur vie a été réduite à une condition purement biologique» au détriment de «toutes les dimensions sociales et politiques, mais aussi humaines et affectives. Une société qui vit dans un état d’urgence perpétuel ne peut pas être une société libre.» Et de poser la question suivante: «Qu’est-ce qu’une société qui n’a d’autre valeur que la survie?»

Les États redoublent de créativité pour tester de nouvelles formes de contrôle à la faveur de la crise du coronavirus.

Ce que Agamben ne dit pas, mais qui pourtant appuie encore plus sa réflexion, c’est combien les États redoublent de créativité pour tester de nouvelles formes de contrôle à la faveur de la crise du coronavirus. Et c’est bien là que réside le phénomène le plus inquiétant de la période que nous traversons. La Corée du Sud est peut-être un des exemples les plus frappants. Pour lutter contre la pandémie, le gouvernement coréen a mis en place un système de «tracking» qui permet, grâce à la localisation de leur smartphone, de vérifier en temps réel où les contaminés se trouvent, quand ils se déplacent, etc. N’importe quel Coréen peut vérifier ces informations sur un site dédié. D’autres pays suivent cette dangereuse pente. La Chine a utilisé la même méthode que la Corée, plusieurs opérateurs chinois ayant fourni aux autorités les données des utilisateurs ayant transité par la province d’Hubei au début de la crise. Israël a également engagé un programme similaire de collecte des données des Israéliens porteurs du virus.

Ce que l’on ne pouvait forcément prévoir, c’est que l’Europe et ses démocraties libérales ont également amorcé une réflexion - et pour certains pays mis en place des mesures - pour surveiller les citoyens via les réseaux mobiles. C’est le cas de Madrid en Espagne qui a créé un site Internet dédié pour géolocaliser les personnes infectées ; c’est le cas également de la Lombardie, région d’Italie la plus touchée par l’épidémie ; c’est le cas de la Grande-Bretagne qui met au point actuellement une application similaire, mais sur la base du volontariat et sans la rendre totalement publique, avec la promesse d’effacer les données une fois la crise passée. Même la France a choisi de réfléchir à la question: le nouveau comité scientifique mis en place le 24 mars aura pour mission, entre autres, de conseiller l’exécutif sur les «programmes de backtracking qui permettent d’identifier les personnes en contact avec celles infectées par le virus du Covid-19», et sur «l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées».

Ces « avancées » technologiques sont en réalité des régressions sans précédent.

Ces «avancées» technologiques sont en réalité des régressions sans précédent. Et il est très difficile de ne pas craindre que cette imagination dans les dispositifs de surveillance ne constitue pas un précédent qui briserait définitivement une digue qui, jusqu’ici, tenait encore à peu près. Et le plus frappant, dans ce moment inédit que nous vivons, est l’étonnante obéissance des peuples, et en particulier du peuple français. Une sorte d’expérience de Milgram à grande échelle, dans laquelle les citoyens obéissent à un gouvernement dont ils jugent l’autorité suffisamment légitime pour suivre ses consignes les plus liberticides, alors même qu’en temps normal, sa défiance envers les gouvernants est à peu près totale.

Et comme si cela n’était pas suffisant, le gouvernement français, à la faveur du contexte de crise, assouplit de manière radicale les règles fondamentales du droit du travail dans un texte de loi voté en urgence, alors même que la pandémie a révélé, si besoin était, la situation profondément inégalitaire de la société française. Et la dimension provisoire de ces mesures n’est pas du tout acquise…

C’est dans les moments de crise que se révèle la solidité d’un pays ou d’une institution. La pandémie du coronavirus a ébranlé des fondations qui paraissaient inviolables il y a encore quelques mois. Agamben écrit, «c’est un spectacle vraiment attristant de voir une société tout entière liquider en bloc toutes ses valeurs éthiques et politiques». Pour l’heure, il s’agit d’une situation temporaire, dictée par l’urgence et le caractère tragique de la situation. Une fois la crise sanitaire résolue, il faudra veiller à rétablir nos libertés. Toutes nos libertés.

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