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Le tirage au sort peut-il relancer notre démocratie ?


Depuis le 3 octobre, la Convention Citoyenne pour le Climat réunit 150 citoyens tirés au sort. C'est la première fois en France que de simples citoyens non élus sont chargés de rédiger des projets de lois et de règlements qui seront transmis « sans filtre » pour décision à l'exécutif, au Parlement où à référendum. Quels sont les scénarios d'institutionnalisation de cette nouvelle pratique démocratique ?

Convention Citoyenne pour le Climat

Le 25 avril dernier, lors de sa conférence de presse de clôture du Grand Débat, Emmanuel Macron, après avoir fermé la porte au vote obligatoire, au vote blanc et au RIC, annonce : « Je souhaite que cette place de nos concitoyens dans notre démocratie ainsi revitalisée puisse aussi se faire par la réforme que nous devons conduire du Conseil Économique Social et Environnemental… Je souhaite que l'on puisse avoir des citoyens tirés au sort qui viennent compléter cette assemblée et qui ainsi permettra à celle-ci de représenter pleinement la société dans toute sa diversité et sa vitalité… Mais sans attendre, dès le mois de juin, nous tirerons au sort 150 citoyens pour constituer ce début de Conseil de la Participation Citoyenne. Ce sera organisé au CESE actuel avant sa réforme. » 

On peut souligner le fait que, grâce au lobbying des Gilets Citoyens, contrairement aux assemblées du Grand Débat, la Convention Citoyenne pour le Climat est chargée de rédiger des projets de lois et de règlements qui seront transmis « sans filtre » pour décision à l’exécutif, au Parlement où à référendum.

De nombreux projets sur la place publique

Sans avoir la popularité du référendum d’initiative citoyenne (RIC), porté ces derniers mois par les Gilets Jaunes, le tirage au sort en politique fait l’objet d’expérimentations et s’invite dans le débat public depuis quelques années. On voit fleurir de nombreuses propositions d’institutionnalisation de cette pratique sur la place publique. En voici quelques exemples récents :

Assemblée de Citoyens

En juin 2019, dans une tribune publiée dans Libération, Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, propose une Assemblée de Citoyens qui organise des conventions de citoyens, analyse et transmet les pétitions des citoyens au Sénat et à l'Assemblée nationale et délibère sur les lois avec égalité de statut avec les deux autres assemblées. Elle s’appuierait en outre sur des assemblées délibératives de citoyens que chaque député devrait mettre en place dans sa circonscription.

La démocratie c'est vous

En mai 2019, Paul le Fèvre, juriste, dans son ouvrage "La démocratie c'est vous !", suggère de compléter l'Assemblée nationale et le Sénat par le même nombre de citoyens tirés au sort pour un mandat de deux ans avec un véritable statut. Ce collège serait renouvelé par tiers.

Chambre citoyenne

En avril 2019, dans une interview à Socialter, Yves Sintomer, professeur de science politique à l'Université de Paris 8, propose de tirer au sort 6000 citoyens pour un an minimum puis, sur chaque dossier, tirer au sort parmi eux un jury pour étudier et prendre une décision sur un point particulier, leur proposition étant ensuite tranchée par référendum. Ces citoyens devraient non seulement être rémunérés comme des députés, mais aussi avoir la garantie de retrouver leur emploi une fois leur mission accomplie. Il propose la possibilité d’un veto suspensif sur un texte de loi voté par le Parlement, au moins sur les questions du «long terme». Cette chambre pourrait également s’occuper du jugement de responsables politiques et constituer ainsi un tribunal d’assises pour élus. Enfin cette chambre devrait décider des règles du jeu électoral en lieu et place des partis.

Assemblée populaire

En février 2019, Gil Delannoi, Chercheur au CEVIPOF à Sciences Po, dans son ouvrage « Le Tirage au sort. Comment l’utiliser ? », propose deux assemblées tirées au sort pour compléter l'Assemblée nationale. Dans l’une, les  200 sénateurs seraient tirés au sort parmi une population qualifiée (environ 1% de la population) avec des personnes de plus de 40 ans ayant prouvé leur compétence. Ce sénat ayant les mêmes prérogatives que le Sénat actuel. Dans l’autre, l'Assemblée Populaire, 1680 tirés au sort sur les listes électorales, siégeant à mi-temps, auraient pour principaux rôles les questions au gouvernement, l'audition de hauts fonctionnaires et experts et un droit d'initiative législative. Gil Delannoi complète ce dispositif avec des assemblées régionales de 504 tirés au sort pour délibérer et émettre des avis motivés, et pour les grandes municipalités, des assemblées municipales consultatives de 100 tirés au sort en plus de 20% des sièges des conseils municipaux affectés à des citoyens tirés au sort.

Assemblée du futur

En novembre 2017, la Fondation Nicolas Hulot publie le travail d’un groupe d’universitaires qui propose une assemblée du futur pour prendre au mot le discours d’Emmanuel Macron devant le congrès en juillet 2017 : « Le Conseil Economique Social et Environnemental doit devenir la Chambre du futur ». Cette assemblée du futur remplacerait le CESE et serait composée de 3 collèges : 50 citoyens tirés au sort, 50 membres de la société civile organisée (les membres de l’actuel CESE), et 50 spécialistes de l’environnement (scientifiques et membres d’associations spécialisées).

Sénat Citoyen

Au niveau national, Le Sénat serait remplacé par un Sénat Citoyen où les sénateurs citoyens seraient tirés au sort sur la base des listes électorales pour un mandat unique de 2 ans. Reprenant le rôle du Sénat actuel, Il jouirait en plus de nouvelles prérogatives : nomination des autorités de contrôle et Autorités Administratives Indépendantes (Cour des comptes, CSA, AMF,…). Il aurait un pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale et de destitution du gouvernement dans certaines conditions. Il serait aussi garant de tous les dispositifs de participation citoyenne : référendums d’initiatives citoyennes, consultations, jurys citoyens…

Au niveau local, les Assemblées Citoyennes Territoriales auraient le même rôle de questionnement, proposition et contrôle des élus au niveau régional, départemental, intercommunal et communal. Elles auraient également le pouvoir d’initier la révocation des élus et seraient garantes des dispositifs de participation citoyenne. (voir schéma ci-dessus)

Quelles options en présence ?

Assemblée mixte ou composée uniquement de citoyens ?

Mélanger au sein de la même assemblée élus et citoyens tirés au sort, il y a là un risque important de prise de pouvoir des élus dans ce type d’assemblée, que la délibération ne puisse s’extraire des enjeux partisans et qu’au final la voix des citoyens ne puisse émerger.

Assemblée de volontaires ou service civique obligatoire ?

La plupart des propositions laissent le choix aux tirés au sort de participer ou non à l'assemblée. Nous pensons, qu'a l'instar des jurés d'assises, le tirage au sort politique est un service civique obligatoire. Même s'il est moins important que dans l'élection qui sélectionne naturellement des individus qui recherchent du pouvoir, le volontariat apporte néanmoins un biais dans la représentation en ignorant les citoyens qui ont peu d'appétence pour chose commune ou qui ne se sentent pas légitimes.

Assemblée consultative ou disposant de vrais pouvoirs ?

Aujourd’hui, les conventions ou jurys citoyens sont uniquement consultatifs et n’ont aucun pouvoir en propre. Nous pensons que ces assemblées permanentes, pour jouer pleinement leur rôle, doivent avoir les pouvoirs les plus larges possibles et notamment, en plus des rôles déjà cités, être garantes de tous les dispositifs de démocratie directe (RIC, Budget participatif…), assurer la nomination des autorités administratives indépendantes et enfin disposer de la capacité de révocation des élus. 

Assemblée uniquement au niveau national ou également au niveau local ?

Nous pensons qu’il est indispensable que ce nouveau principe démocratique se mette en place à tous les niveaux de la République. En effet avec 600 000 citoyens tirés au sort face aux 600 000 élus de la République, en quelques années, chacun connaîtra un tiré au sort dans son entourage proche. Ce nouveau principe démocratique doit permettre de transformer progressivement les électeurs que nous sommes en vrais citoyens coresponsables du bien commun.  

Quels enjeux pour la prochaine réforme constitutionnelle ?

Dans le projet de loi constitutionnelle de mai 2018 il n’y avait aucune trace de tirage au sort dans la proposition de transformation du CESE en « chambre de la société civile ». Dans le projet d’août 2019, contrairement à l’annonce du 25 avril, le « conseil de la participation citoyenne » ne comprend pas de citoyens tirés au sort en son sein mais « sur son initiative ou celle du Gouvernement, il peut réunir des conventions de citoyens tirés au sort, dans des conditions fixées par la loi organique ». C’est la première fois que le tirage au sort serait reconnu dans la Constitution ! 

Néanmoins ces citoyens n’auront qu’un rôle consultatif, le pouvoir d’interpeller le gouvernement ou les assemblées étant réservé aux membres de la société civile organisée qui composeront le conseil de la participation citoyenne. Les simples citoyens restent encore et toujours considérés comme des mineurs auxquels on ne peut accorder aucun pouvoir.

Qu’est ce qui nous pousse à proposer une option qui peut paraître aussi radicale ? 

  • Principalement l'envie de répondre à trois constats. Le premier, partagé par tous est la perte de confiance dans les institutions du système représentatif et le souhait des citoyens de participer ou d’être représentés par des représentants qui partagent leurs préoccupations. 
  • Le second est la transformation apportée par la révolution numérique qui en même temps donne accès à toutes les informations mais fait que chacun vit dans son propre monde et qu’il n’existe plus de lieu de délibération qui permette d’inclure toutes les sensibilités de la population.
  • Enfin c’est pour nous la seule façon de faire face collectivement et démocratiquement aux enjeux climatiques qui sont devant nous. Les changements radicaux à opérer ne pourront se faire que par un peuple de citoyens actifs.  

EXTRAITS D'UN ARTICLE DONT VOUS POUVEZ LIRE L'INTÉGRALITÉ ICI.