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Pour un Erasmus universel


Meurtre antisémite de Mireille Knoll et attentat islamiste à Trèbes en France, héritiers du nazisme au gouvernement en Autriche, fusillade raciste de Macerata en Italie... Cette actualité, riche d'exemples de la participation de jeunes à des mouvements extrémistes et de la crise que traverse l'Europe, a inspiré une tribune à Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen (EGAM).


« De nombreux jeunes sont attirés par l’extrémisme, notamment le nationalisme et l’islamisme, et alimentent la crise politique, sociale et morale que traverse notre continent. L’Europe a besoin d’une profonde refondation démocratique, qui place la jeunesse en son cœur.

« Erasmus Universel », ou « Erasmus pour toutes et tous », est l’initiative novatrice et concrète qui permettra à la jeunesse d’Europe de répondre à ce défi avec enthousiasme et unité.

« Erasmus Universel », c’est la généralisation de la circulation des jeunes en Europe en vue d’approfondir la démocratie.

Toutes et tous les jeunes d’Europe, notamment celles et ceux qui sont les plus exclus pour des raisons sociales, raciales et territoriales, seront engagés ensemble dans cette initiative. Il s’agit non seulement d’un changement d’échelle, mais également d’un changement de nature du programme qui a fait aimer l’Europe et circuler plus de 9 millions de personnes depuis 1987.

Concrètement

Concrètement, cela veut dire des années ou mois d’échange ou de séjour à l’étranger pour tous les étudiants, apprentis et jeunes chômeurs, des voyages de classe ou des échanges courts pour tous les lycéens, collégiens et élèves de primaire.

Un accompagnement pédagogique fera en sorte que cette circulation implique un rejet du racisme et de l’antisémitisme et une adhésion aux valeurs de la démocratie. En effet, la circulation seule n’implique pas forcément humanisme et ouverture sur le monde.

En faisant vivre les valeurs fondamentales de la démocratie, Erasmus Universel accomplira une profonde transformation de l’Europe.

Égalité et justice

Tout d’abord, c’est une initiative pour l’égalité et la justice.

Une génération entière sera incluse dans un projet commun. Le passage par l’Europe permettra de réintroduire de la mobilité sociale, raciale et territoriale alors que toutes les sociétés en Europe sont de plus en plus raides, donc injustes. Le changement de logique est fort : il ne s’agit plus d’élargir le cercle des bénéficiaires autour des « gagnants de la mondialisation » mais de généraliser, en incluant dès maintenant et au même titre celles et ceux qui sont trop peu considérés, les « perdants ». Sera ainsi réduite l’inégalité des chances entre les uns et les autres, génératrice de tensions.

Liberté

Ensuite, c’est une initiative pour la liberté.

En offrant aux individus la possibilité de se construire dans la rencontre avec l’Autre, de constituer librement leurs identités de manière non-xénophobe et pleinement européenne, Erasmus Universel leur offrira la possibilité de leur émancipation. Par cette rencontre, les individus pourront en effet identifier au mieux les héritages culturels et nationaux qui leur ont été transmis et ouvrir des perspectives pour inventer une identité et un parcours de vie qui leur soient propres.

Transformation de l'Europe

Par ailleurs, c’est une initiative populaire de transformation concrète de l’Europe.

Erasmus Universel sera pour toutes et tous les jeunes une expérience de vie nouvelle, un droit réel et un bénéfice tangible gagnés grâce à l’Europe. Par extension, toutes les familles du continent en seront bénéficiaires, si bien que le vécu européen et l’image de l’Europe en sortiront profondément changés pour des dizaines de millions d’individus.

Si elle est foncièrement novatrice, cette nouvelle grande aventure européenne s’inscrit dans la filiation de pensées plus anciennes.

Déjà en 1935, le philosophe Husserl, exclu de l’Université allemande parce qu’il était juif, voyait dans la constitution d’une identité européenne la seule manière de résister au nationalisme qui s’étendait alors en Europe. Quelques années plus tard, Stefan Zweig appela de ses vœux la circulation des jeunes en Europe, notamment dans le cadre de leur éducation, et la transmission de l’histoire de la culture comme expérience partagée, afin de renforcer la solidarité européenne et d’éviter la désagrégation morale de notre continent.

Erasmus Universel s’inscrit dans l’histoire de la constitution d’une identité et d’une société civile européennes pour lui impulser une nouvelle dynamique. Ce faisant, il redonnera une ambition de civilisation à l’Europe et renforcera la solidarité entre Européens ainsi que l’adhésion citoyenne à des institutions partagées. En renouvelant profondément le projet européen et en plaçant la jeunesse en son cœur, il leur offrira une projection vers l’avenir. En cela, Erasmus Universel est une puissante contribution à la lutte contre les extrémismes qui attirent de nombreux jeunes.

Bien évidemment, pour aboutir à la mise en place effective d’Erasmus Universel, de nombreux défis devront être relevés, en particulier linguistiques, organisationnels, pédagogiques, institutionnels et financiers.

Payer le coût des crises ou investir dans la démocratie

Les expériences acquises par les institutions et par la société civile au niveau européen comme au niveau local donnent des perspectives de solutions pour chacun d’entre eux. Financièrement, il ne faut pas se méprendre : l’Europe traverse une période de turbulence qui peut lui être fatale, et de l’argent devra immanquablement être dépensé à l’avenir. Est-il préférable de payer au prix fort les coûts des crises de dislocation ou bien de se donner des chances de les éviter en investissant dans la jeunesse et la démocratie ?

Dans son Discours de La Sorbonne, le 26 septembre dernier, le Président de la République française avait fait sienne la proposition selon laquelle « en 2024, la moitié d’une classe d’âge doit avoir passé, avant ses 25 ans, au moins six mois dans un autre pays européen. »

Erasmus Universel doit désormais faire partie des objectifs non seulement de la France, mais également de tous les pays européens.

C’est une nécessité vitale et un impératif démocratique fondamental pour notre continent. »

Benjamin Abtan, Président du Mouvement antiraciste européen (EGAM)

Article publié sur Ouest France

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