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La fraternité


Quelques réflexions issues du livre d’Edgar Morin : « La fraternité, pourquoi ? Résister à la cruauté du monde » (Actes Sud, 2019) dont sont tirées toutes les citations entre guillemets et en italique non attribuées ci-dessous (Frédéric)

Évolution vers plus de complexité

Depuis au moins le Big bang l’énergie se déploie dans l’/en univers. Différentes forces de cohésion, d’adhésion, d’attraction mais aussi de répulsion vont matérialiser cette énergie et petit à petit associer les particules en atomes puis en molécules plus compliquées jusqu’aux corps unicellulaires qui vont finir par se complexifier en se divisant pour se multiplier jusqu’au moins, pour ce que l’on en sait, aux êtres vivants de notre planète.

Comme le dit Edgar Morin cette « division cellulaire met la fraternité ou sororité originelle au coeur de toute vie ». Nous sommes tous frères et sœurs issus de ces premières divisions de cellules. Dans le bouddhisme qui évoque la réincarnation, tous les êtres ont pu un jour être notre mère ou notre frère.

Individualisme vs égocentrisme

Comme le dit Edgar Morin : « Tout individu a, en tant que sujet, deux logiciels en lui. Le premier est un logiciel égocentrique : « Moi-je ». par ce moi-je, chacun s’auto-affirme en se situant au centre du monde, du moins de son monde. Ce logiciel est nécessaire car si nous ne l’avions pas nous ne serions pas amenés à nous nourrir, à nous défendre, à vouloir vivre.

Mais il y a un second logiciel qui se manifeste dès la naissance, quand le nouveau-né attend le sourire, la caresse, le bercement, le regarde de la mère, du père, du frère… dès l’enfance nous avons besoin du « nous » et du « tu » qui reconnaît « toi » comme sujet analogue à « soi » et proche affectivement de soi, tout en étant autre. Les humains ont besoin de l’épanouissement de leur « je »,  mais celui-ci ne peut se produire pleinement que dans un « nous ». le « je » sans « nous » s’atrophie dans l’égoïsme et sombre dans la solitude. »

La peur, réelle ou supposée, nous fait nous recentrer sur ce « Moi-je » nous éloignant de cet esprit de fraternité qui est en nous.

« L’individualisme comporte des aspects positifs : l’autonomie personnelle qui permet la créativité et la responsabilité. Mais il a aussi des côté ambivalents comme la concurrence et la compétition qui au-delà d’un certain seuil deviennent obsession du profit et source d’agressivité et de conflits. Il a enfin comme côtés négatifs : l’égoïsme et la dégradation des solidarités. ».

Fraternité de l’urgence

Malgré l’individualisme ambiant nous pouvons toujours voir s’éveiller des élans de fraternité en cas de catastrophe. Cette fraternité qui semble faire partie de la nature humaine, on a pu le vivre aussi avec les échanges, les partages, les soutiens qui se sont créés lors du premier confinement de 2020.

José Marti le philosophe cubain dit que « la fraternité du malheur est la fraternité la plus rapide. »

La fraternité ne peut s’imposer

Sur nos frontons républicains la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » semblent nous guider. On peut chercher à imposer par la loi les deux premiers volets. Mais la liberté à son extrême (surtout quand elle est économique) fait régresser l’égalité. Et cette dernière pour être imposée risque de faire diminuer la liberté individuelle. Mais comme le dit Jacques Attali si « L'Eternité, l'Egalité et la Liberté sont des droits, la Fraternité est une obligation morale. » On ne peut donc l’imposer par la loi.

Fraternités ouvertes ou fermées

Edgar Morin différencie deux sortes de fraternité : « Il y a la fraternité close et la fraternité ouverte. La première se referme sur le « nous » et exclut tout étranger à ce « nous » car l’ennemi suscite la fraternité patriotique contre lui. Elle considère le nationalisme comme supérieur à tout autre et ayant droit légitime d’opprimer « l’autre ».

La fraternité ouverte porte en elle le sentiment d’inclusion de la patrie dans la communauté humaine, qui est aujourd’hui communauté de destin de tous les êtres humains de la planète. »

La mondialisation

Après-guerre, la mondialisation pouvait faire rêver d’un monde uni possible mais « loin de créer une compréhension entre peuples et une fraternité humaine à l’échelle planétaire, elle a provoqué en réaction une tendance au repli et au renfermement sur des « nous » ethniques, nationaux, religieux. »

C’est le côté négatif de cette globalisation qui semble l’emporter : dégradation de la biosphère, incertitude économique, croissance des inégalités. «  Tout cela crée un besoin impérieux de prise de conscience de notre communauté humaine de destin ».

De par internet, nous nous retrouvons retranchés derrière nos écrans, avec des positions égocentriques qui créent souvent beaucoup de violences surtout sur les réseaux sociaux mais pourtant alors que « tout devrait tendre à isoler chaque « je » de partout naît et renaît un besoin du « nous » et du « tu ». » Comme le dit Martin Luther King « Grâce à notre génie scientifique et technologique, nous avons fait de ce monde un quartier. Et maintenant, par notre engagement moral et éthique, nous devons en faire une fraternité. Nous devons tous apprendre à vivre ensemble en tant que frères, sinon nous périrons ensemble en tant qu'idiots. »

Non seulement « la voie actuelle conduit à des désastres écologiques, politiques, sociaux, humains mais aussi à une ségrégation post-biologique de seigneurs métahumains. L’homme augmenté du transhumanisme va à contresens d’un homme amélioré dans son esprit et son éthique, capable de fraternité et de solidarité. »

De l’obligation de la fraternité

Pierre Kropotkine (dans L’entraide, un facteur de l’évolution, 1902) montre déjà que les espèces les mieux adaptées sont les plus solidaires. « C’est en effet la symbiose entre unicellulaires qui a permis la constitution des pluricellulaires dont nous faisons partie. Toute vie comporte le besoin existentiel d’autrui qui prend la forme soit prédatrice/parasitaire soit associatives/symbiotiques. »

Oasis locales

Face à cette mondialisation techno-économique destructrice de plus en plus d’oasis communautaires se créent (voir le réseau Colibri par exemple). « Ils sont les lieux d’une économie solidaire, de dépollution, de détoxification des vies, des lieux de vie meilleures tout en étant lieux de solidarité et de fraternité. Mais ils demeurent trop dispersés vue la taille des défis globaux que pose la mondialisation. Mais ils sont les germes d’une civilisation de l’épanouissement personnel dans la fraternité du « je » dans le « nous ». »

Certes « nous ne saurons jamais éliminer les forces de désintégration ni les conflits. Le parti de la fraternité est le parti de la régénération permanente ». Et « plus il y a de mondial plus il doit y avoir de local, des oasis de vie mondialement reliés. »

Face au « futur incertain mais nous devons sauvegarder et développer les fraternités des oasis, créer des îlots de vie autre points de départ d’une fraternité plus généralisée. »

À nous, de « nous inscrire dans les aventures locales des oasis, arrières-gardes d’humanité dans les barbaries triomphantes. »

Des croissances

Cette nouvelle voie doit nous amener à développer de plus en plus un mode de pensée complexe qui relie. Par exemple « il faut cesser d’opposer croissance et décroissance et déterminer ce qui doit croître (économie sociale et solidaire, agroécologie, objets à l’obsolescence non programmée et non jetable, artisanat de réparation, commerces de proximité etc) et ce qui doit décroître ( économie du futile, fausses vertus du rajeunissement, alimentation industrialisée, production d’énergies polluantes, vente d’armes à des puissances belliqueuses). »

Unité et diversité

« Tous les êtres humains sont semblables génétiquement, anatomiquement, physiologiquement, cérébralement, affectivement et culturellement, tout en étant tous différents  génétiquement, anatomiquement, physiologiquement, cérébralement, affectivement. L’unité humaine est le trésor de la diversité humaines et la diversité humaine est le trésor de l’unité humaine. Comprendre autrui comporte la reconnaissance de notre humanité commune et le respect de ses différences. »

Coopération et conflit

Toujours entre cohésion et répulsion, comme l’écrit Kropotkine il faut associer deux notions antinomiques et pourtant liées : coopération et conflit. « La fraternité est sans cesse menacée par la rivalité. Il faut éviter l’illusion euphorisante que toute fraternité acquise l’est définitivement » comme on l’a cru dans les communautés de la fin des années 60. Et comme le disait François Mitterrand, dont on parle beaucoup en ce moment : « Sur le chantier de ces valeurs toujours neuves, pour ces combats de chaque jour qui se nomment liberté, égalité, fraternité, aucun volontaire n'est de trop. »