Face à la montée de la violence dans les établissements scolaires, certaines voix s’élèvent pour réclamer des mesures strictes : interdiction des réseaux sociaux aux adolescents, limitation de la vente de couteaux… Mais ces réponses, bien que sécuritaires, relèvent d’une logique de contrôle plus que de compréhension, et interrogent philosophiquement notre rapport à la liberté, à la responsabilité et au vivre-ensemble.
Platon, dans La République, soulignait que l’éducation de l’âme est le fondement d’une cité juste. Interdire des objets ou des outils numériques ne traite pas la racine du mal : la formation morale, l'encadrement affectif et le sens civique. Supprimer les réseaux sociaux, c’est supprimer un symptôme, non une cause. Hannah Arendt, dans La crise de la culture, insistait sur l’importance de transmettre le monde aux nouvelles générations. L’échec de cette transmission — valeurs, règles, autorité — pourrait expliquer une partie de la violence scolaire.
L’interdiction de la vente de couteaux à certains publics peut paraître raisonnable dans un contexte de protection. Mais selon Kant, dans Fondements de la métaphysique des mœurs, traiter les individus comme des êtres raisonnables, c’est leur reconnaître la capacité d’agir moralement. Une politique fondée sur la seule méfiance détruit ce présupposé.
Ces mesures d’interdiction peuvent apaiser les peurs, mais elles ne sauraient se substituer à une réflexion éthique sur la responsabilité collective, l’écoute des jeunes et la reconstruction du lien social. Comme le disait Rousseau, « on veut empêcher qu’il ne fasse le mal, il faudrait surtout lui apprendre à vouloir le bien ». La violence scolaire est un symptôme : à nous de soigner la société dans son ensemble, et non de simplement verrouiller ses accès.
Pour aller plus loin :
Simone Weil, L’enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Folio, 1990
L’Enracinement de Simone Weil, publié à titre posthume en 1949, est une réflexion profonde sur les besoins de l’âme humaine et les conditions de la justice sociale. Weil affirme que chaque individu a besoin d’enracinement, c’est-à-dire de liens concrets avec une communauté, une histoire, une culture et un territoire, pour s’épanouir pleinement. Elle critique la modernité industrielle, qui détruit ces liens par l’aliénation du travail, la déshumanisation des relations et la centralisation du pouvoir.
Elle explique que le déracinement conduit à une souffrance de l’âme et à une perte du sens moral. Cette situation peut entraîner un « recroquevillement de l’âme », une accoutumance au mal, et une exclusion de toute pensée, ce qui rend l’individu vulnérable à la violence, qu’il en soit auteur ou victime. Ce manque d’enracinement peut mener à une déshumanisation, à une perte d’orientation et à une fragilisation morale, conditions propices à l’émergence de comportements violents ou destructeurs.
Elle défend une société où l’individu n’est pas isolé mais relié à des collectifs vivants, où le travail a un sens et où la justice s’incarne dans des institutions justes et proches des personnes. L’Enracinement est ainsi un plaidoyer pour une civilisation fondée sur la solidarité, la justice et l’attention à l’autre.
Simone Weil n’aborde pas explicitement les comportements violents chez les jeunes dans L’Enracinement, mais elle développe une réflexion profonde sur les effets du manque d’enracinement, qui peut s’appliquer à toutes les générations, y compris la jeunesse et on peut faire le lien avec notre société numérique actuelle.
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