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Frankenstein et le transhumanisme


Le transhumanisme veut nous séduire. Le mythe de Frankenstein nous prévient qu’il risque bien de nous détruire.


Nous commençons à nous habituer au vocable « transhumanisme » qui peine encore à s’imposer dans les logiciels correcteurs d’orthographe […/…] : le modèle de l’homme est la machine. Plus précisément : le modèle du cerveau, c’est l’ordinateur.

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Kurzweill […/…] concentre ses recherches et ses investissements sur la possibilité de télécharger les données du cerveau sur un disque dur. Bostrom doute que la complexité du contenu de l’esprit humain puisse permettre que celui-ci soit modélisable et téléchargeable. Reste une fascination partagée pour l’« intelligence artificielle », au sens d’une machine qui « posséderait » une intelligence. Il s’agirait, grâce à des combinaisons algorithmiques, d’augmenter les performances de certains robots informatisés jusqu’à leur permettre d’autoréguler leurs réactions aux stimulations de l’environnement. Autrement dit, souligne Jean-Gabriel Ganascia, il s’agirait de construire un double de l’homme avec une conscience de lui-même et un champ d’action autonome.

Les chercheurs en IA disent leur inquiétude éthique vis-à-vis des conséquences négatives possibles du développement de l’IA. […/…] N’allons-nous pas vers des formes d’intelligence dont les actions deviendraient incontrôlables par l’homme, voire se retourneraient contre l’homme ?


Bostrom lui-même se dit conscient de ces dangers, mais estimant l’avènement de nouvelles formes d’IA inévitable, il préfère une régulation interne de ces nouveaux systèmes technologiques. La puissance de contrôle et d’action de certains outils technologiques rendent de fait plus que jamais nécessaire la réflexion éthique. L’enjeu est que ces outils restent au service du développement et de la solidarité humaine sans devenir le modèle oppressant de l’activité et des relations humaines.


[…/…] Parler d’« intelligence artificielle » c’est […/…] réduire l’intelligence à n’être qu’une fonctionnalité, en l’occurrence un instrument de calcul très performant. Or, l’intelligence humaine n’est pas qu’un instrument de calcul, elle n’est même pas une simple faculté de pensée, elle est aussi faculté morale, capacité à discerner le bien du mal. Elle s’insère ainsi dans la profondeur de l’intériorité humaine qu’il serait dommageable d’oublier : la conscience, lieu personnel de la moralité ; l’âme qui habite et anime notre être, dans son unité corporelle et spirituelle, depuis les fonctions végétatives jusqu’au questionnement existentiel voire à la vie mystique.

Mieux vaudrait donc parler par exemple de robots à très haute capacité de calcul, pour bien marquer que nous ne parlons que d’un certain type de capacités. Cela permettrait d’éviter la propension à « humaniser » la machine qui se transforme vite en propension à « mécaniser » l’humain avec des conséquences éthiques désastreuses. Nick Bostrom, dans son ouvrage sur la « superintelligence » évoque déjà comme une possibilité envisageable la sélection à grande échelle d’embryons humains. Le but en serait de favoriser des cerveaux humains plus performants comme modèle à des machines plus performantes. Eugénisme libéral, car non-coercitif, mais eugénisme glacial.


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L’usage éthique des nouvelles technologies impose une prise de distance par rapport à l’idéologie transhumaniste. N’est-ce pas le message qu’envoyait déjà à l’humanité, sans en soupçonner la portée, la jeune Mary Shelley dans son roman  Frankenstein ? […/…]


La quête d’immortalité par le jeu de l’interface homme-machine, a pour prémisse l’obsolescence de l’homme. Jean Duchesne voit plutôt dans Frankenstein, ce « Prométhée moderne » pour reprendre le sous-titre du roman de Mary, la projection des transgressions romantiques ou l’ordre surnaturel des classiques et l’ordre rationnel des Lumières sont supplantés par l’ordre existentiel décrété par des individus d’exception, hissés au rang de génie. Les transhumanistes, chercheurs de haut niveau liés pour certains à l’industrie technologique américaine, veulent nous convaincre que Prométhée est heureux. Mais il ne peut l’être, car la puissance de la technique ne peut supplanter l’amour. Frankenstein nous prévient que le bonheur de l’homme ne se trouve pas dans une sortie de l’humanité. L’usage éthique des nouvelles technologies se fonde dans la vulnérabilité de l’incarnation.


CES EXTRAITS SONT TIRÉS D'UN ARTICLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ SUR LE SITE THE CONVERSATION 


EN LIEN AVEC LE THÈME DE NOS ÉCHANGES DE 2019 : LE TRANSHUMANISME.