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Jacques Higelin : "Vers la fin, la mort commence à se montrer sans gêne"


Jacques Higelin est mort le 6 avril 2018. Le chanteur de "Tombé du ciel", qui aimait tant la scène, était venu se raconter sur France Culture en février 2015, dans l'émission "Hors Champs" : ses débuts intimidés, les livres qu'il aimait, la poésie, sa musique, sa famille...

"C'est Cocteau qui disait que la mort était là depuis le début, mais que vers la fin elle commençait à se montrer sans gêne et naturellement", voici ce que confiait le chanteur à Laure Adler, en février 2015, sur France Culture. Jacques Higelin, le chanteur de Tombé du ciel, vient de disparaître à l'âge de 77 ans. Dans ce "Hors-Champs"  il évoquait d'entrée de jeu la question de la vieillesse, et de la mort :

"Je ne suis ni content, ni pas content de vieillir. J'accepte, parce que c'est une autre évolution.  Il y a plusieurs révolutions dans la vie : de bébé on passe à petit garçon, puis adolescent, jeune homme, homme mûr, et après vieil homme, vieillard... Je suis au début de ma vieillardise, et en même temps ça m'amuse beaucoup. J'apprends à rire de tout, surtout de moi."

Né en 1940 près de Paris, c'est au son du piano de son père, cheminot et musicien, que Jacques Higelin passe ses premières années. Il attrape très rapidement le virus de la musique, et construit son identité musicale autour des grands chansonniers de l'époque, comme Maurice Chevalier, et plus particulièrement Charles Trenet, à qui il vouait une admiration passionnée : 

"Je l'écoutais, et je retournais la galette mille fois... ça me faisait un bien fou, Charles Trenet ! C'était gracieux, léger, et ça correspondait à mon tempérament de rêveur. Il racontait des histoires, et puis il était joyeux, dynamique, il était jazz... swing. "

C'est adolescent qu'il découvre le jazz, une connaissance qu'il renforce au gré de ses rencontres avec le clarinettiste et saxophoniste Sidney Bechet et le guitariste italien Henri Crolla, héritier de Django Reinhardt. De nombreuses figures du jazz l'ont marqué, comme il le confiait encore : 

"Duke Ellington m'a complètement marqué. Et c'est marrant parce que j'ai lu le bouquin de Keith Richards, où il parle de son enfance dans la banlieue de Londres. Et moi j'étais dans la banlieue de Paris !  Et on écoutait les mêmes trucs... Il est un peu plus jeune que moi, mais on écoutait les mêmes choses : Duke Ellington, Louis Armstrong... du jazz, et du rock."

Au long des années 1960, le jeune auteur-compositeur écume les cafés-théâtres parisiens, comme celui "de la Vieille Grille" dans le Quartier latin, pour y faire ses armes. Il se remémorait ses débuts intimidés, au micro de Laure Adler : 

"Je chantais des 45 tours. Jacques Canetti m'avait lancé comme ça, pour chanter Boris Vian. Je suis monté sur les planches très jeune. Avant, c'était des radio-crochets. On vous fait chanter et le public vous vire, ou il vous retient. Il y avait juste un type qui avait une canne, un crochet. Il vous attrapait par le cou, doucement, et il vous faisait sortir de scène. Je chantais sur des plateaux, devant la gare de Chelles, par exemple. Des planches !..."

C'est dans ces années-là qu'Higelin rencontre Moustaki, Rufus, Bulle Ogier... et pléthore d'autres artistes, dont Brigitte Fontaine, avec qui il travaillera en duo : On est là pour ça (1966), Cet enfant que je t'avais fait (1968), Comme à la radio (1970).

Brigitte Fontaine, avec qui il partage le goût de la littérature. Tous deux avaient notamment Victor Hugo comme inspiration commune, comme il le racontait à Laure Adler en 2015 :

"Je dis que les écrivains sont musiciens. Par exemple, Victor Hugo disait "Défense de déposer de la musique le long de mes vers". C'est net. Ça veut dire que ça chante, Victor Hugo. Il a un style inimitable ! On est deux à partager cet amour-là, c'est Brigitte Fontaine et moi. J'aime beaucoup aussi Boris Vian, Baudelaire, Rimbaud... en plus il adorait le piano, il voulait être musicien aussi. Je pense qu'il aurait pu être Bob Dylan."

Jacques Higelin poursuit en parallèle une carrière artistique au cinéma - il joue pour un premier film, Le Bonheur est pour demain d'Henri Fabiani, en 1959. Quelques-unes de ses incursions sont particulièrement remarquées, comme dans Bébert et l'omnibus d'Yves Robert (1963) ou encore, une décennie plus tard, dans Elle court elle court la banlieue, de Gérard Pirès (1973), où il tient l'un des rôles principaux aux côtés de Marthe Keller.

La musique de Jacques Higelin revêt des couleurs plus Rock'n'Roll, plus offensives, au début des années 1970, même si ses textes restent poétiques et un peu extravagants, depuis Alertez les bébés ! (1976) jusqu'à Tombé du ciel (1988), en passant par Champagne  et Caviar (1979). Malgré ses cinquante ans de carrière, il a toujours su incarner une grande modernité, même vis à vis des jeunes générations, comme il le racontait à Laure Adler en évoquant sa fille Izïa, née en 1990 :

"C'est marrant parce que je me suis retrouvé avec ma fille Izïa, qui écoute la musique mais mille fois plus fort qu'on l'écoutait nous ! Et des fois, les nuits, je m'endors... notre chambre n'est pas loin de la sienne. Mais des fois, quand elle recevait des copains et qu'elle écoutait de la musique à donf !... Je rentrais, et je lui demandais "Comment tu peux écouter la musique à ce niveau-là ? [...] Mais comme son père déconne aussi, et que ses copains lui ont dit "Oh ton père il est génial !" Ils m'ont vu en scène, et ils ont dit "Ah la pêche, c'est très rock !" ça les branche aussi. "

Son dernier album, Higelin 75, était sorti en 2016  pour son 75ème  anniversaire.

Extraits d'un article Hélène Combis-Schlumberger à lire sur France Culture et pour écouter les extraits radiophoniques.

EN LIEN AVEC NOTRE ATELIER PHILO DU 21 NOVEMBRE 2016 : LA MORT