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Transhumanisme et philosophie

Le transhumanisme est un mouvement social complexe qui associe le développement technologique dans l'informatique et la biotechnologie à des considérations idéologiques et philosophiques, l'ensemble étant soutenu par une poussée économique considérable. Ce mouvement prône l'usage des sciences et des techniques afin de développer les capacités humaines et de dépasser les limitations de l'homme.

1. De quoi s'agit-il ?


Dans son acception la plus centrale, le transhumanisme est une approche interdisciplinaire qui cherche à évaluer les possibilités de surmonter les limites de l'homme grâce aux progrès technologiques. Le développement technique permet d'augmenter les capacités et possibilités de l'homme depuis toujours (de la roue à la maîtrise de l'énergie atomique, en passant par l'imprimerie). Sur le plan philosophique, cette possibilité a été valorisée sous le terme de "progrès" par la modernité, mais il y a quelque chose de nettement différent dans le transhumanisme.

Le rapport à la technique prend une autre tournure avec les "nouvelles technologies" qui sont beaucoup plus proches du corps de l'homme. En effet, avec l'association de la biologie et du numérique, la frontière entre l'homme et les artefacts s'estompe. L'individu peut entrer en symbiose étroite avec des artefacts [...] à titre individuel ou collectivement via internet.

Cette volonté d'augmentation par symbiose soulève des questions scientifiques, sociales et éthiques nouvelles. L'homme serait désormais en mesure d’intervenir techniquement sur sa propre évolution, non seulement à l’échelle de l’individu, mais aussi à celle de l’espèce. Il ne s’agit plus seulement « d'augmenter les capacités et possibilités de l'homme », mais de revisiter rationnellement le concept d’eugénisme !

Les progrès techniques exigent que nous nous demandions ce que nous voulons faire par rapport à l’humain, et pourquoi. Les dangers d'une telle évolution préoccupent peu le mouvement transhumaniste qui est porteur d'un optimisme qui tranche (agréablement) avec l'ambiance morose actuelle.

2. Les aspects socio-économiques


Cette effervescence idéologique est en relation avec l'économie de la Silicon Valley et son évolution industrielle. L'argent se déverse massivement du fait de la réussite de Google et des investissements dans les start-ups innovantes.  [...] L’idéologie de la Silicon Valley, c’est celle de la toute-puissance. Les seigneurs californiens rêvent d'être les maîtres du monde, mais il ne faut pas en déduire, selon eux, que « ce serait forcément mauvais pour l’humanité ».

[...]  Les courants américains sont très centrés sur la liberté individuelle et le libéralisme économique, mais l'association « Humanity + » tend à être plus démocratique. En Europe, la réception du mouvement se fait comme d’habitude à travers notre filtre culturel propre.  [...]

3. Philosophie du transhumanisme

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Le transhumanisme est une doctrine philosophique prétendant qu'il est possible d'améliorer l’humanité par la science et la technologie. Elle vise à libérer l’humanité de ses limites biologiques, en surmontant l’évolution naturelle. Changer l'humain serait positif, car cela pourrait signifier la libération des contraintes de la nature, comme la maladie ou la mort. La plupart des transhumanistes son athées et matérialistes. L'idée centrale est celle d'un dépassement de l'humain (et non de son élimination) par l'intermédiaire des techniques qui évoluent de manière très rapide.

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Le transhumanisme est porteur d'une vision de l'homme complètement différente de celle de la tradition occidentale. L'homme est considéré comme un être insuffisant et limité qui peut être amélioré et dont les capacités doivent être augmentées.  [...] Grâce à sa fusion avec la bioinformatique, l'homme pourrait accéder à l’immortalité et égaler les Dieux.

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L’éthique (humaniste) nous commande de lutter contre la souffrance et la mort, et la transformation physique et mentale de l’humain n’est que le moyen de parvenir à ce but.

Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les détracteurs du transhumanisme, le désir de parvenir à l’immortalité n’est pas le fruit d’un égocentrisme exacerbé, mais la conséquence logique de notre désir naturel de nous conserver dans l’existence (Gilbert Hottois, Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, Paris, Vrin, 2017).

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On désigne par humanisme le fait de mettre au premier plan et respecter l'homme dans son être. A ce titre, le transhumanisme est un dérivé de l'humanisme, car il ne veut pas seulement préserver l'être de l'homme, mais l'augmenter, le transformer. En plaçant la technique au cœur de la culture, l’humanisme classique est bouleversé, mais pas désavoué.

Le versant éthique de l'humanisme prône la dignité et la valeur de tous les individus humains ce qui implique une égalité sociale. Comme indiqué ci-dessus, une partie des transhumanistes se placent dans une démarche élitiste et libertarienne, qui va à l'encontre de l'égalité. Celle-ci demande des régulations et des redistributions, car la vie économique et sociale creuse sans cesse les inégalités.

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Nous avons là un trait typique de la post-modernité, l'abolition des repères de base. Alors que la modernité voulait un progrès scientifique et technique dans un cadre humaniste, on voit que le transhumanisme prétend s'affranchir de ce qui semble pourtant constituer l'humain. Évidemment, une critique s'impose. En est-on si sûr que les repères traditionnels soit contingents et puissent être dépassés sans provoquer des dysfonctionnements relationnels et sociaux majeurs ?

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Le transhumanisme s'inscrit complètement dans l'idéologie néolibérale de transgression des limites morales traditionnelles. Le néolibéralisme vise l’augmentation des droits individuels et la libéralisation permanente des mœurs, ce qui a pour conséquence une dissolution des valeurs traditionnelles, une transformation sociale profonde. L’idéologie néolibérale sape un certain nombre de bases culturelles des communautés traditionnelles, sans pour autant en évaluer les conséquences, ni préciser le but poursuivi.

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4. Le transhumanisme comme force politique ?


Zoltan Istvan a créé en 2014 un parti Transhumaniste.

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Le fait de pouvoir se présenter aux élections présidentielles américaines montre une capacité financière et humaine importante, mais il est difficile d'en évaluer l'ampleur exacte. Malgré la popularité du mouvement, la création d’un parti est risquée dans un pays religieux et conservateur. Par ailleurs, la mouvance transhumaniste se veut apolitique et le choix de monter un parti a provoqué la réprobation de la majorité des grands noms du mouvement.

Conclusion

Le transhumanisme et un mélange complexe idéologique et philosophique porté par des progrès techniques et un élan économique de grande ampleur. Il est philosophiquement ambigü, car il se déclare humaniste, mais aussi enclin à supposer un dépassement de l'humain. Ses valeurs individualistes, élitistes et libertariennes sont celles d'un libéralisme exacerbé qui est contraire à l'équité nécessaire à une vie sociale harmonieuse.

 


CES EXTRAITS SONT TIRÉS D'UN ARTICLE DE FRANÇOIS-HUGUES PARISIEN SUR PHILOSCIENCES À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ ICI


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