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Qu'est-ce qu'être citoyen aujourd'hui ?


Qu'est-ce qu'être citoyen aujourd'hui ?

Le citoyen est plus qu'un habitant d'une ville, d'un Etat: c'est le membre d'une communauté politique. Trois éclairages vous sont proposés revêtant les aspects sociologiques, historiques, et  généralistes, sans toutefois prétendre être exhaustifs, tant le sujet est vaste.

Le point de vue sociologique

Je dirais pour ma part que du point de vue de la sociologie, la citoyenneté ne peut être définie a priori. Elle se décline selon les contextes historiques, sociaux et culturels. Elle est de ce fait polysémique et multidimentionnelle. Toutefois, si la définition de la notion de citoyenneté est relative à l'évolution des sociétés, certaines de ses caractéristiques sont pérennes. Elle est à la fois un statut (droits et devoirs) reconnu officiellement par une entité politique et une pratique pour un intérêt commun autrement dit hors du cadre strict de la communauté d'appartenance.

La sociologie pose des questions relatives au vécu en se démarquant du cadre normatif de la notion étudiée. La notion de citoyenneté n'échappe pas à ce mode d'approche. Il s'agit de comprendre pourquoi les pratiques se diversifient avec une tendance au rejet d'un cadre de références qui semble pourtant évident. Les réponses sont à rechercher dans la nature du changement social. Comment définir la société française aujourd'hui? C'est dans cette définition que réside la complexité politique, sociale et culturelle de la citoyenneté. De ce fait, interroger la citoyenneté, c'est interroger la société et son devenir. Tous les phénomènes sociaux contemporains sont à inclure dans cette démarche. Par exemple, dans quelle mesure, le mouvement des "Gilets Jaunes" serait un acte citoyen? Que se passe-t-il dans nos banlieues? Leurs habitants sont-ils des citoyens? Peut-on pratiquer une religion en étant citoyen? Les questions sont nombreuses tant la citoyenneté peut prendre des formes emmêlées et variées.

Nassima Dris

Et le sujet devint citoyen !

Périodiser, ou structurer le temps, est une des tâches qui revient, parmi tant d’autres à l’historien. Pour ce faire, il identifie des ruptures et des continuités(1). En fait ce sont les ruptures qui sont fondamentales car les continuités se définissent en "négatif". Les ruptures les plus communément acceptées sont d’ordre politico-événementiel, plus rarement culturel. Une "bonne" rupture est franche et brutale.  Le cas de la Renaissance est assez exceptionnel, puisque culturel. Son existence n’est pas unanimement reconnue par les historiens. 

Dans notre histoire nationale, 1789, qui est la fin de l’Ancien Régime et le début de l’Episode Révolutionnaire est une rupture unanimement acceptée, car violente et décisive.

On se pose ainsi la question d’identifier les changements majeurs qui ont affecté les individus de ladite période. 

Cette approche propose de prendre en compte les mutations politiques, mais également les ruptures dans les pratiques sociales. 

Le sujet devint donc citoyen.

Au-delà du simple changement de dénomination, on identifie d’abord une évolution du statut de l’individu, i.e. de ses droits et de ses devoirs. 

Petit retour sur la société de l’Ancien Régime. Le sujet "personne vivant sous l’autorité du monarque" lui doit soumission et certaines obligations. Ces dernières consistaient en particulier à s’acquitter des diverses redevances dont la taille(2) est la plus connue.  

En 1789, avec l’Episode révolutionnaire, le sujet devenu citoyen, n’est plus seulement l’habitant ordinaire de la ville, ou de la cité, il devient l’Homme libre de l’assujettissement au roi. La société, elle-même, se transforme en devenant plus égalitaire en supprimant la fameuse tripartition attribuée à Adalbéron(3), celle de la société des Trois Ordres. Sont, dans ce contexte, abolis les privilèges, dans la nuit du 4 août 1789. La rupture est nette et brutale, mais il faudra pourtant trois années pleines (1789-1792) pour tricoter ce passage du sujet au citoyen.

Encore que le statut de citoyen ne soit pas celui que nous connaissons de nos jours. Ainsi certains habitants sont exclus des opérations politiques. Seuls les citoyens dits "actifs" ont le droit de vote. Pour appartenir à cette classe, il faut répondre à plusieurs exigences : être un homme de plus de 25 ans, résider depuis un an dans le canton, ne pas être fonctionnaire, ni en faillite, enfin justifier du paiement d’un cens équivalent à au moins trois journées de travail. Un serment civique lui est associé et l’individu devient obligatoirement membre de la garde nationale locale(4). Ainsi défini, le corps électoral représente environ 15,6% de la population française totale. 

Les citoyens les plus aisés qui peuvent justifier du paiement d’un impôt direct égal à au moins à 51 journées de travail, peuvent prétendre à être éligibles aux fonctions d’administrateur du district(5), du département ou de l’Assemblée. Il est clair que ces exigences destinent l’activité politique à la fraction bourgeoise du Tiers Etat. Pour exemple, Joseph Cassanyes(6), maire de Canet en Roussillon et député à la Convention des Pyrénées-Orientales, appartenait à une famille de chirurgiens(7).  

Comment cette rupture s’est-elle marquée dans les pratiques quotidiennes ? En voici quelques exemples d’une liste non exhaustive. 

-"Monsieur, Madame" sont bannis par la Convention et replacés par "Citoyen, citoyenne"(8)

-La formule de politesse finale devient systématiquement "Salut et Fraternité"

-La mesure du temps s’en trouve redéfinie. Les noms des mois et des jours changent et la référence à la naissance du Christ est remplacée par "l’An I de la République, une et indivisible"(9).

-Les prénoms chrétiens sont remplacés ceux de l’Antiquité, voire des noms de végétaux. 

-Les jeux de cartes, eux-mêmes, s’en trouvent modifiés puisque les noms des philosophes remplacent ceux des rois. 

-La Révolution Française utilise pour le courrier officiel un support papier bleu pastel qui se reconnait facilement(10).

Suite à ce tableau, forcément incomplet, de notre première citoyenneté, on pose la question du comment évaluer la situation actuelle de la citoyenneté ? 

A-t-on des raisons d’être inquiets face à la tiédeur civique de nos contemporains en regard de la faible participation aux opérations de vote ? Que penser, d’un autre côté, du piètre tableau moral renvoyé par la classe politique actuelle ? 

L’Histoire nous montre que le passé n’était ni mieux, ni pire ! Pour preuves, peut-on affirmer qu’il existait, durant la Révolution française, un engouement des citoyens pour le vote alors que le corps électoral ne représente que 15,6% (cf. supra) du total de la population ? D’un autre côté les conventionnels brillaient-ils par leur seule vertu(11)

Les historiens futurs identifieront-ils la crise de la Covid-19 comme une rupture dans la vie de la citoyenneté ?

En imposant la distanciation sociale et la réduction institutionnelle de nos libertés la crise ne va-t-elle pas réduire drastiquement notre sphère relationnelle en nous privant de l’autre. C’était pourtant la prérogative de l’Homo sapiens !

Comme disait Montesquieu dans l’Esprit des Lois en 1755, soit 34 années avant la Révolution, "Le gouvernement est comme toutes les choses du monde : pour le conserver, il faut l’aimer"

Henry Baills

notes :

(1) : Emmanuel Le Roy Ladurie, "Le territoire de l’historien", Ed. Gallimard, 1973.

(2) : Impôt direct réparti selon les feux (foyers). 

(3) : Adalbéron de Laon (Xème siècle). Cet évêque, dans son œuvre, évoque les fondements d’une société organisée en trois ordres : ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. 

(4) :Milice d’électeurs destinée à rétablir l’ordre lors de troubles. Constituée le 13 juillet 1789, Bonaparte la désarmera. 

(5) :Subdivision du département en 5 ou 6 districts. Ils seront remplacés en 1795 par les arrondissements, plus grands. 

(6) :A ce propos la biographie de R. Saut "Les quatre saisons du conventionnel Cassanyes" Ed. Rivages des Arts, 1983, décrit bien l’environnement socio-culturel de ce type de membre de la Convention.

(7) : Il se prononcera pour la mort du Roi le 15 janvier 1793.

(8) :Décret du 31 octobre 1793.

(9) :Le 22 septembre 1792.

(10) :Dans les archives nationales ou départementales, l’Episode Révolutionnaire constitue la série L et se remarque à cette couleur bleu pastel. 

(11) :On relira la moralité douteuse de Mirabeau, Danton, et que dire de l’"Incorruptible" Robespierre !

Être citoyen aujourd'hui 

 En philosophie politique, le citoyen (de civis, celui qui a droit de cité), est un membre de la communauté politique, qui se définit à la fois par le libre exercice de ses droits civiques et politiques et par sa participation aux décisions de l'Etat au nom de la volonté générale.

 Le citoyen se distingue du sujet des monarchies absolues obéissant au roi. Il n'y a de citoyens que dans une république ou une démocratie.

 Peut-on être Homme sans être Citoyen? (pensons à La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui différencie les deux termes: lire «Homme et citoyen» d'Hannah Arendt) Pourquoi l'homme a besoin d'être citoyen pour être homme? Peut-on se dire homme sans considérer ses devoirs de citoyen?

 En fait, la citoyenneté revêt trois aspects: 

  •  -un aspect identitaire: être citoyen, c'est éprouver une «ressemblance fondatrice avec d'autres». Cette ressemblance peut très bien se fonder sur une histoire commune, une culture, une langue, une religion, des traditions partagées: l'essentiel est qu'elle donne une notion d'identité, qui émerge à travers les différences individuelles, sociales, ethniques, géographiques qui caractérisent les citoyens.
  •  -prendre des décisions ensemble, par l'intermédiaire de représentants, être partie prenante de projets d'entreprises, d'actions: c'est l'aspect pragmatique de la citoyenneté. 
  •  -Avoir conscience des droits et devoirs pour soi et pour les autres, en gardant une vigilance critique. 

 En ce qui concerne les devoirs, à l'âge de la majorité, on retrouve le paiement des impôts, la défense du pays, respecter les lois, être juré...quant aux droits ils peuvent être politiques (voter, être élu...) civils (droit de se marier, de circuler,  de propriété...)

sociaux( droit à l'éducation, à la santé, au logement, vivre correctement...).

 De la qualité de citoyen, découle le bénéfice d'un ensemble de droits civils et politiques. Obéissance et résistance sont les deux vertus du citoyen: par obéissance, il assure l'ordre, par la désobéissance la liberté.

 La crise de la citoyenneté 

Elle ne cesse aujourd'hui d'être dénoncée (ouvrage Pouvoir et démocratie en France). Elle serait au principal, liée à une triple mutation qui affecterait l'idéal citoyen construit depuis l'Antiquité. 

 En premier lieu, la figure du citoyen «actif», engagé dans les affaires de la cité, s'affaiblirait indubitablement. (taux d'abstention élevés). 

Rappelons que celui qui vote doit être en capacité de juger de ce qui est le plus conforme à l'intérêt général.(ce qui explique qu'il soit refusé aux mineurs et à certaines personnes majeures sous tutelles et qu'il ait longtemps été refusé aux femmes, tant qu'on n'a pas admis qu'elles étaient les égales des hommes)

Il doit être motivé par la recherche de cet intérêt commun, (ce qui au départ a servi de prétexte au vote censitaire, car on considérait qu'il fallait avoir des biens à défendre pour être concerné par les enjeux du vote)

 En deuxième lieu, la figure du citoyen abstrait est régulièrement mise à mal en raison des appels à la reconnaissance de nombreuses minorités. De plus, la crise de la citoyenneté est aussi et surtout, la crise de la représentation.

 En dernier lieu, si les principales conquêtes obtenues en matière de citoyenneté ont été réalisées dans le cadre national, celui-ci est aujourd'hui concurrencé par l'émergence d'une citoyenneté européenne, voire mondiale.

  La crise, moteur  de la citoyenneté

 Jamais les citoyens des régimes démocratiques n'ont eu autant de moyens de faire entendre leur parole. Un simple smartphone autorise chcun à exprimer son opinion en temps réel, à la diffuser, à fédérer des «corelégionnaires» et donc à peser sur la vie publique, sans devoir passer par le filtre de ses représentants ou des médias.

 De cette liberté inédite, les citoyens usent toujours plus. Pour interpeller les gouvernements sur l'avenir de la planète, pour dénoncer les violences sexistes, pour contester une nouvelle taxe, pour manifester sa colère contre les violences policières et du racisme. Les réseaux sociaux sont aussi le terrain d'épanouissement favori des porteurs de «faits alternatifs» qui s'estiment ignorés ou maltraités par les médias traditionnels. 

 Johanna Rolland, maire de Nantes, veut croire en un renouvellement de la pratique du pouvoir qui passerait «par une vision et une pratique de gouvernance ouverte, en dialogue permanent avec les citoyens, les associations et les experts». Ce dialogue citoyen, selon elle, est une innovation publique tout à fait majeure qui permet de travailler au plus près des besoins et des attentes, à l'échelle d'une métropole, d'une ville, d'un quartier, d'une rue, ou d'une cage d'escalier». 

C'est dans cet esprit que nous brandissons, à l'UPPM, l'étendard sur lequel flotte la devise: Et Maintenant? Qu'allons nous faire?

«La pandémie a révélé l'ampleur des inégalités sociales, et les «hommes» se sont tellement habitués à vivre dans un état de crise, qu'ils ne semblent pas s'apercevoir que leur vie a été réduite à une condition purement biologique et a perdu non seulement sa dimension politique mais aussi toute dimension humaine.» selon Agamben.  Pourtant, du citoyen, la Démocratie ne pourrait se passer de son concours actif. Dès lors la citoyenneté doit se convertir en civisme, c'est à dire une citoyenneté vécue au quotidien.  

 A la lumière de cette crise qui secoue le pays et bien au-delà, des confinements instructifs sur l'état des remparts de notre démocratie, voilà venu le temps de l'engagement pluriel, de s'affranchir de nos appartenances, des affiliations partisanes et sociales, pour l'intérêt général, et de constater que Le Monde de demain (dont on a tant parlé) n'attend que nos «deux mains» pour être refaçonné. L'initiative citoyenne pourrait se déployer aussi, pour faciliter le passage d'une démocratie de la délégation à une démocratie de l'action. 

 Comment?

 Par exemple, comprendre la crise pour mieux la gérer dans un premier temps : les sujets ne manquent pas...« Planifier l'évolution vers une économie...économe (M.Auzanneau),  Privilégier les initiatives locales au service de l'intérêt général (O.Grégoire) Mettre en place une pratique de gouvernance ouverte, Inventer d'autres formes de démocratie.(R.Slitine).

Mais aussi, se préparer à toute éventualité de phénomènes exceptionnels: « A l'école, donner les clés pour agir et non subir le monde nouveau (A.Ansour), L'intelligence artificielle, avec des algorithmes non biaisés, pour bâtir des outils prédictifs (A.Bouverot) En finir avec les petits pas et promouvoir une certaine radicalité(N.Hazard) ou Ecouter l'avis extraordinaire de citoyens ordinaires (W. Aucant)...»

Mais quel moteur pour agir, quand la croyance au progrès qui donnait sens à l'action et orientation des choix, ne va plus de soi? voire quelquefois est perçue comme une menace. Mais aussi, par la réflexion commune qui doit accompagner nos « deux mains », se garder comme l'a montré D.Reynié, que le triomphe de l'opinion publique puisse apparaître comme le triomphe politique de l'opinion. 

 Sans compter les interrogations qui nous rassemblent tous, Ainsi un virus mondialisé aura-t-il mis à l'arrêt le monde entier. Le local n'a-t-il pas affecté le global et précisément l'avènement de sociétés sans contact où prime la distanciation sociale? Une citoyenneté pleinement réalisée supposerait idéalement une politique cosmopolite, c'est à dire des citoyens du monde et non plus seulement d'une nation. Ce qui doit nous conduire à une «politique de la Terre» entendue comme maison commune dont l'usage ne serait plus réservé aux seuls humains.

 De nombreux chantiers s'ouvrent à nous. Qu'attendons nous ?

Jacky Arlettaz